Chroniques de Philippe Curval

Robert Charles Wilson : les Chronolithes

(the Chronoliths, 2001)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :
la Fin des certitudes

« Je connais l'odeur de l'avenir. » Ce roman aurait pu commencer ainsi, rendant cette phrase aussi immortelle que « J'avais atteint l'âge de mille kilomètres » du Monde inverti de Christopher Priest. Mais ne boudons pas notre plaisir, les Chronolithes de Robert Charles Wilson frôle par instants le chef-d'œuvre.

Le paradoxe des paradoxes temporels, c'est qu'à force de les mettre en présence pour tenter de les élucider, on parvient vite à l'incohérence. Aussi l'auteur doit-il ruser avec les évidences, passer outre aux démonstrations, retenir habilement les informations afin de suggérer le sentiment surréel qu'il est possible de voyager à travers le temps. Pour obtenir ce résultat, le mieux n'est-il pas de proposer une idée si forte que le lecteur n'aura pas le pouvoir de réagir avant le mot "fin". Ainsi, l'apparition à Chumphon, en Thaïlande, d'un obélisque de plus de cent mètres de haut, commémorant la victoire d'un seigneur de la guerre chinois qui n'aura lieu que vingt ans plus tard, perturbe les esprits les mieux constitués. Surtout qu'il n'est que le premier d'une série de Chronolithes dont les Humains vont subir les effets dévastateurs. Devant cette menace aussi incongrue qu'énigmatique, l'individualisme forcené des Hommes et des États qui sévit en ce début de troisième millénaire risque de voler en éclats.

En particulier sous les coups de la Kuin-mania qui se développe parmi les internautes du monde entier pour créer une vague de mysticisme fluctuant, sans religion ni idéal, dont la seule conviction est que l'image gravée sur les monuments est un nouveau Messie.

Kuin marquera-t-il plutôt la fin des certitudes ? pense Scott Warden, chercheur sur la modélisation de l'effet d'anticipation sur le comportement des masses. Comme Sulamith Chopra, physicienne spécialisée sur la symétrie temporelle. L'un et l'autre vont se débattre dans l'écume des coïncidences pour tenter de résoudre l'énigme. Dans certaines conditions quantiques, si l'effet précède la cause, la cause produira-t-elle nécessairement l'effet ?

Usant de son Chronolithe comme de l'artefact de Mysterium, Robert Charles Wilson va jouer du sentiment profond de l'inconnu pour disséquer toutes les contradictions de l'Humanité, liée par la carapace dont elle s'entoure pour lutter contre l'absurdité de sa condition. En acceptant que la mort ne soit plus la pire des menaces que nous propose l'avenir, l'angoisse existentielle peut alors devenir un prodigieux moteur pour comprendre l'univers. Par exemple en jouant avec le feu de Dieu pour brûler les idoles. Ou mieux, en construisant un présent qui s'évade de la voie tracée par nos ancêtres et nos descendants.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 421, juin 2003

Marc Duveau : la Grande anthologie de la Fantasy

1978-2003

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :

Violente ou sentimentale, héroïque ou scientifique, magique ou légendaire, la Fantasy fait aujourd'hui les gros tirages. L'un de ses plus anciens et fins connaisseurs en France, Marc Duveau, nous livre une somme capitale pour qui veut tenter d'apprécier le genre s'il existe. Ou de le détester sur pièces. L'important, c'est qu'ici la passion, le choix des textes et l'érudition de l'anthologiste obligent à reconnaître que de grands écrivains s'y sont essayés avec succès, en produisant des œuvres de qualité littéraire. Dommage qu'il y ait pléthore d'infects succédanés.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 421, juin 2003

Valerio Evangelisti : Black flag

(Black flag, 2002)

roman de Science-Fiction par nouvelles

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :

Evangelisti, qui ne manque ni de style ni d'aisance, rapproche des concepts différents dans sa cornue spéculative. Ici trois nouvelles entremêlées. La première voit les Américains bombarder Panama city pour des visées impérialistes, la seconde se déroule dans un futur lointain où les schizophrènes s'entre-tuent sur Terre sans savoir qu'ils sont dans un asile. Dans la troisième, un certain Pantera poursuit un homme-loup parmi les rebelles sudistes pendant la guerre de Sécession. Jeux de miroirs qui renverraient à notre époque de violence ? J'y verrais plutôt jeu d'écriture d'un auteur qui se fait violence pour accoucher d'un roman sans sujet.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 421, juin 2003