Chroniques de Philippe Curval

Folio Science-Fiction

collection de Science-Fiction, de Fantastique et de Fantasy chez Gallimard

chronique par Philippe Curval, 2000

par ailleurs :
Folio folies

Pour certains, dont je fais partie, la SF s'apparente au voyage. Je n'évoque ici ni le déplacement d'affaires ni le tourisme, ni le carnet de bord complaisant de “l'écrivain voyageur”. Non, je parle du dépaysement absolu que procure le transfert soudain vers un aéroport lointain, sans nulle information, précaution, préparation. Sauf quelques verres d'alcool pour se décapsuler la tête au départ, plus un bon sniff de kérosène. Intervient alors à l'atterrissage la sensation brutale d'émerger dans un monde où la perte des repères et la découverte de l'inconnu prêtent à la jouissance intellectuelle et sensorielle. Ce que procure l'effet Science-Fiction.

Afin de ne pas verser dans le besogneux, j'arrêterai ici la comparaison que l'actualité m'incite à établir. En effet, Gallimard vient de lancer les trente premiers volumes d'une nouvelle collection, "Folio SF". Par ce biais, j'invite ceux qui n'en lisent jamais ou peu à tenter une expérience unique, celle de la révélation d'un genre. Car le choix des romans ne cède pas plus à la pédagogie qu'à la ségrégation. Bien sûr, l'essentiel est tiré du fonds de "Présence du futur" qui, depuis 1954, a établi un panthéon de la Science-Fiction littéraire, mais d'autres publications, périodes, tendances y sont mêlées. Éclectisme et syncrétisme s'y donnent rendez-vous.

Ainsi les deux premiers volumes sont consacrés à Fondation, qui date de 1951. Isaac Asimov y montre un sens de l'épopée visionnaire qui fit beaucoup pour attirer de nouveaux adeptes à la SF. À l'opposé de ce monument classique, le numéro 26 de la collection propose Bzjeurd d'Olivier Sillig, dont j'ai déjà dit ici tout le bien que je pensais. Cette œuvre étrange pousse jusqu'au dépaysement total le questionnement sur la vraisemblance du réel, fonds de pension de la Science-Fiction moderne.

Tout aussi passionnante est la confrontation entre le premier roman de SF selon Brian W. Aldiss, Frankenstein de Mary Shelley, et Substance mort [ 1 ] [ 2 ] de Philip K. Dick. À la noire rêverie sur la manipulation biologique dont les adaptations cinématographiques ont marqué la mythologie moderne, répond la schizophrénie dickienne, génératrice de cauchemars artificiels.

Dans la conception globale de cette première livraison, on voit se dessiner le souci de mêler des œuvres tutélaires, l'Homme qui rétrécit de Richard Matheson, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ], Martiens, go home ! de Fredric Brown, à des romans expérimentaux, tel ENtreFER d'Iain Banks. De même, au lieu de publier d'emblée les textes les plus connus de Norman Spinrad ou de John Varley, on y a préféré de plus secrets, de plus sensibles, le Printemps russe, Persistance de la vision. Pour brouiller l'image stéréotypée du genre et s'imprégner de sa tendance actuelle à la fusion, les sélectionneurs n'ont pas hésité à verser dans la Fantasy, avec la série des Princes d'ambre de Roger Zelazny, ou dans le puritanisme confucéen des romans d'Orson Scott Card.

Stefan Wul, Serge Brussolo, Jean-Pierre Andrevon démontrent l'originalité de la SF française. En prime, un guide de lecture élaboré par Francis Valéry esquisse l'évolution du genre en 107 titres. On pourrait en proposer bien d'autres, mais lisez d'abord ceux-là, vous ne regretterez pas le voyage.

Paul J. McAuley : Sable rouge

(Red dust, 1993)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2000

par ailleurs :

Pas plus qu'en vous embarquant avec Paul J. McAuley, dont j'avais jusqu'alors boudé la production pour cause d'imperméabilité. Ses premiers romans m'avaient laissé l'impression d'une omelette trop baveuse tant le déferlement d'idées, de concepts, de péripéties ne prenait pas.

Dans Sable rouge, on retrouve ce goût du collage Pop Art initié par J.G. Ballard, ce mélange d'humour et de rêve éveillé qui tient lieu de style, des notations scientifiques à brûle-pourpoint, des effets spéciaux spectaculaires. Car il y a du Tex Avery — page 268, Droupi est une crêpe au soja — dans cette aventure martienne, six siècles après la colonisation par les Chinois et les Américains, au moment où la terraformation inaboutie s'inverse. Investi par le virus fullerène d'une anarchiste, l'orphelin Wei Lee, dont l'idole est le clone autorépliquant d'Elvis Presley, conquerra la divinité en luttant contre les Dix Mille Ans. Ainsi résumée, l'histoire peut paraître abstruse, mais cette fois, le logiciel de compression de McAuley tourne dans les deux sens et devient compatible avec la plupart des systèmes de pensée. On se laisse absorber par ce déferlement narratif au point d'y prendre plaisir.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 392, novembre 2000

Robert Silverberg & Jacques Chambon : Destination 3001

anthologie de Science-Fiction, 2000

chronique par Philippe Curval, 2000

par ailleurs :

Enfin, si vous voulez pousser plus loin encore la spéculation, n'hésitez pas à lire Destination 3001, l'anthologie franco-germano-italiano-américaine, pour vous délecter des folies du quatrième millénaire en gestation.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 392, novembre 2000