Chroniques de Philippe Curval

Thomas Disch : Poussière de lune

(Under compulsion / Fun with your new head, 1968)

nouvelles de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2000

par ailleurs :
Nouvelles des nouvelles

Après la traversée du désert que subirent les jeunes auteurs durant une décennie, entre 1987 et 1997, voici que reparaissent des revues (Bifrost, Galaxies) où ils peuvent enfin publier leurs textes, de nombreuses anthologies qui révèlent l'étendue de la palette présentée par la Science-Fiction. Français, Italiens, Allemands et Anglo-Saxons y expriment pour la plupart une appétence de fusion entre les genres.

Celle-ci ne date pas d'aujourd'hui : voyez, par exemple, Poussière de lune, qui vient d'être réédité. Thomas Disch y démontre en génial précurseur que les extrêmes se touchent et que le Fantastique, la Science-Fiction, l'humour, le nonsense, la fiction spéculative, le polar métaphysique, quand on parvient à les replier en bande de Moebius, offrent une solution de continuité entre les genres littéraires. Ainsi démontre-t-il, dans "Inutile la fuite, inexorable la pitié", qu'en poussant jusqu'à l'absurde un vieux thème de SF (celui du robot asimovien), on obtient une nouvelle d'un kafkaïsme exacerbé. « Faut-il torréfier Kafka ? » s'interrogeait déjà Jacques Bergier dans les années cinquante. La réponse est oui car la saveur en est exacerbée. Comme dans "la Descente", où l'emprunt de l'escalier mécanique appliqué au désespoir débouche sur un suspense technologique. Avec le bouleversant "Nada", Disch invente la recette qui fera plus tard le succès des X Files : le flou quantique exercé à l'élucidation d'un mystère transcende un thème majeur : les Autres sont parmi nous. Dans "la Cage d'écureuil", il pousse le plaisir de pervertir la logique relationnelle entre l'écrivain et son œuvre jusqu'à nous donner sa version personnelle de "Bartleby l'écrivain". À lire ou à relire d'urgence.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 390, septembre 2000

Robert Silverberg : Horizons lointains

(Far horizons, 1999)

anthologie de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2000

par ailleurs :

D'autres que moi l'ont souvent proclamé, la nouvelle est le mode d'expression privilégié de la SF. Vérifions cette affirmation à propos de l'anthologie de Silverberg, Horizons lointains, qui exploite les cycles romanesques d'auteurs consacrés. Et pour affiner l'analyse, ne considérons que les textes d'écrivaines.

D'emblée, Ursula K. Le Guin s'impose avec un fort bel "Old Music et les femmes esclaves", dont la trame s'inspire de ses romans majeurs. Dans un monde sans ordre où maîtres et esclaves s'entre-tuent, un diplomate de l'Ékumen apprend par l'humiliation à supporter les terreurs de l'Histoire. Grâce à un style efficace et sans fioritures, Le Guin réussit, mieux que dans les Dépossédés, à montrer comment les humbles parviennent à opposer une attitude libertaire à la globalisation.

Nancy Kress brode autour d'une trilogie peu connue des Français, qui traite de l'insomnie considérée comme une nouvelle modification génétique. Par sa capacité de visualiser à petites touches un réel décalé, qui semble le propre des autrices, elle parvient, dans "Méfiez-vous du chien qui dort…", à conférer une belle substance littéraire à ce texte intrigant.

Anne McCaffrey, à l'encontre, contient mal sa prose dans "le Vaisseau qui rentrait à sa base", fragment inédit du cycle de nouvelles le Vaisseau qui chantait. De belles idées, comme celle de l'hologramme qui assiste à l'enterrement de son modèle, ne suffisent pas à masquer l'indigence du sujet.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 390, septembre 2000

Francis Mizio & Gilles Dumay : Privés de futur

anthologie de polar-SF, 2000

chronique par Philippe Curval, 2000

par ailleurs :

Ambitieux projet que Privés de futur, anthologie de polar-SF. Jacques Baudou dans une postface informée nous démontre que ce métissage est consubstantiel aux origines. Hélas, si la spéculation n'est pas le sujet de l'intrigue, souvent, la Science-Fiction ne sert que de décor.

Nancy Kress joue parfaitement le jeu dans "Évolution", qui reprend avec intelligence et sens de la surprise l'idée du Microbe détective de Hal Clement.

Avec "Gluko Block Alpha", Stéphanie Benson ne cesse de surprendre. La disparue qui n'a pas pu disparaître dans un univers concentrationnaire à 100 % lui donne l'occasion d'étendre le thème de la chambre close à la planète entière.

Ma préférence ira vers "un Monde qui nous parle" de Marie-Pierre Najman, au suspense original. Depuis la Terre, MicroNet permet sans danger d'explorer virtuellement la Lune. À moins que d'autres visions n'interfèrent avec les modèles préfabriqués. Mais qui les crée ?

Dans "Paradigme party", Sylvie Denis mène une enquête serrée sur une planète minière, exploitée par trois intelligences artificielles. Énigme et fiction spéculative sont au rendez-vous.

Les quatre auteurs féminins (sur vingt-quatre) ont idéalement rempli leur contrat. Car tout le problème de cette fusion délicate entre Polar et SF consiste à équilibrer le récit afin que les deux genres s'imbriquent. Alors l'effet combinatoire enrichit la narration. Surtout si le style et l'imagination sont au rendez-vous. Ce qui est le cas.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 390, septembre 2000