KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Hugo nominees 2019: novelettes

longues nouvelles fantastiques, de Fantasy et de Science-Fiction en version originale

chronique par Pascal J. Thomas, 2020

Je continue donc mon exploration des finalistes des prix Hugo 2019 en ce qui concerne les catégories de textes courts. Après les short stories, voici la taille au-dessus, novelette (de 7 500 à 17 500 mots), qui commence à permettre un peu plus de développements. James Gunn, qui a beaucoup écrit sur la SF, considérait que c'était la taille idéale pour le genre : elle laisse le temps de construire un univers, tout en se concentrant sur une seule idée plutôt que, par exemple, sur la biographie entière d'un personnage, qui est la tâche de bien des romans. Voici donc les heureux finalistes :

Comme pour les short stories, les sources en ligne gratuites prédominent — ici c'est l'excellent site Tor.com, lié à l'éditeur du même nom, qui tient la corde, et ici aussi nous avons 5 femmes pour 1 homme ― une prépondérance de femmes sans doute un peu plus forte que dans la population des auteurs de SF & Fantasy d'aujourd'hui (cf. mes remarques dans l'article sur les short stories) ; mais on ne fait pas de statistiques sur un échantillon de taille 6, et cela ressemble aux proportions observées dans les tables rondes de la dernière Convention mondiale à Dublin en 2019. En revanche, la proportion est plus équilibrée entre Fantastique (au sens large) et SF ; il y a dans le lot deux histoires de SF pure, une de SF mâtinée d'uchronie assez fantaisiste, une de Fantasy, et deux de Fantastique (c'est-à-dire que l'élément extraordinaire y est présenté comme faisant irruption dans notre monde réel).

Je dois dire avec un certain dépit que les récits de SF, globalement honnêtes, ne m'ont pas transporté malgré ma préférence pour le genre. Simone Heller nous fait partager le quotidien d'une tribu (non humaine semble-t-il) qui erre dans un monde post-apocalyptique, armée de spinners (araignées artificielles) pour récupérer les matériaux laissés par la civilisation (humaine). Un éclaireur pénètre dans ce qui devait être un planétarium, surmonte sa peur pour écouter l'IA qui le garde, commence à apprendre au lieu de détruire. Le monde est original et construit, l'intrigue un peu faible. Sympathique, sans plus.

Daryl Gregory décrit les étapes principales de l'ensemble de la vie de LT, son protagoniste ― tiens, ma description initiale est prise en défaut ! ― qui traverse une époque troublée : des graines venues d'outre-espace imposent sur Terre une foule d'espèces invasives auxquelles l'Humanité doit s'adapter. LT devra surmonter ses problèmes familiaux, les névroses de ses parents, leur refus de son homosexualité, pour s'imposer et poursuivre une carrière admirable. La construction de ce futur semi-apocalyptique et pourtant vivable est respectable, mais le récit lui-même laisse un goût de roman condensé.

Brooke Bolander remporte sans doute la palme de l'originalité. Voyons : nous sommes dans un univers parallèle où les éléphants peuvent communiquer avec les humains, mais ont été réduits en esclavage, et en particulier, à une époque qui rappelle les années 1940, employés dans des usines militaires pour peindre, si je ne me trompe, des aiguilles luminescentes avec de la peinture radioactive, qui tue lentement mais sûrement autant les pachydermes que les employés humains. Beaucoup plus tard, alors que le profil d'un éléphant évoque toujours la radioactivité pour les humains, on demande avec mille précautions aux représentants de leur communauté la permission d'utiliser un logo éléphantesque pour signaler aux générations futures l'emplacement de dépôts de déchets radioactifs… Bien entendu, tout cela n'est révélé que progressivement au long d'un récit qui fait la navette entre les époques. L'imagination est au pouvoir. Mais elle me demande de suspendre un poids bien trop important d'incrédulité : outre les pachydermes intelligents et mignons façon Dumbo, il faudrait croire dur comme fer à la notion d'appropriation culturelle, et à l'organisation de toute une société (récemment esclavagiste !) pour éviter de commettre désormais cette faute-là, mais surtout il faudrait croire qu'un symbole issu d'un film à succès datant d'une ou deux générations est jugé assez rémanent pour survivre aux demi-vies d'un dépotoir nucléaire. Je cale.

Tina Connolly se place dans un cadre de Fantasy très classique : un royaume d'aspect médiéval, où un régent, usurpateur et dictatorial, a pris le pouvoir. La protagoniste est la goûteuse du tyran, et c'est son amoureux qui cuisine, prisonnier et sans cesse menacé. Mais ses pâtisseries ont le pouvoir de transporter les convives dans leurs souvenirs, et elles vont servir à la fois à nous donner le contexte de l'histoire et à confondre le dictateur au cours d'une série de flashbacks parfaitement agencés pour expliquer le contexte du récit et la biographie des personnages, et faire monter la tension émotionnelle. C'est de la haute couture, et autant j'ai eu du mal à terminer le texte éléphantesque de Brooke Bolander, autant je me suis délecté de cette gourmandise.

Zen Cho, autrice d'origine sino-malaise vivant au Royaume-Uni — les itinéraires originaux sont un des plaisirs de la SF d'aujourd'hui, dopée à la diversité ! —, raconte avec humour et tendresse la vie millénaire d'un imugi (serpent monstrueux de la mythologie coréenne) qui essaie désespérément de devenir dragon ― tel un universitaire à qui on refuse sa promotion et sa permanence (tenure, dans le système américain). On peut aussi penser à l'aspirant-dragon vaguement pathétique du film de Disney, Mulan. Mais notre imugi va s'enticher d'une humaine, astrophysicienne, et travestir sa nature pour partager sa vie ― ce qui lui permettra un travail sur lui-même. Métaphore de la transsexualité ? Pas sûr, même si ça serait dans l'air du temps. En tout cas, le récit a plu, puisqu'il a emporté le prix Hugo dans sa catégorie. Là encore, l'aspect roman condensé m'a un peu rebuté, mais l'humour de Cho fait passer bien des choses, et j'avoue avoir dévoré le texte.

Enfin Naomi Kritzer donne une histoire de fantôme qui en un sens respecte les règles les plus classiques du genre : la protagoniste est une sceptique qui sera convaincue, les sentiments issus des tragédies de la vie quotidienne prennent le dessus, une ambiguïté plane sur le texte… Mais la narratrice, universitaire, est bien campée et passe en douceur d'un discours érudit et analytique à l'émotion personnelle la plus brute. Et surtout, l'état spectral est mis en parallèle avec le sort des personnes frappées de démence sénile, ce qui nous remet le nez dans les problèmes contemporains. J'ai beaucoup aimé. Peut-être parce que la démence sénile me guette !

Me voici rassuré : SF et Fantastique de toutes sortes continuent de vivre. Il ne me manque qu'une pincée de space opera. Mais je sens qu'il y en aura (notamment grâce à Aliette de Bodard, Martha Wells, Nnedi Okorafor) dans la catégorie novellas… pour laquelle, hélas, je n'ai pas eu le temps de terminer mes lectures : ce sera, peut-être pour le prochain numéro de KWS.

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