KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Joseph Altairac, ed. : A.E. van Vogt, passeur cosmique

essais et articles, comptes rendus de lecture, 2010

chronique par Pascal J. Thomas, 2019

par ailleurs :

On and on Altairac trawled…

Ce livre déjà ancien est une somme de van vogtologie, patiemment amassée par ce fantastique passionné qu'est Joseph Altairac. On pourrait croire que la lecture cumulative de chroniques de livre est à la longue fastidieuse, et ne sert qu'à donner envie de relire l'œuvre d'origine. Il y a un peu de ça, mais aussi de nombreuses pépites dans cet ouvrage, qui donne à écouter une étonnante polyphonie — car tous les commentateurs n'ont pas chanté les louanges de Van Vogt, loin de là. La somme n'est pas une intégrale, et on en vient à regretter l'absence centrale de la fameuse et féroce critique du Monde du non-A par Damon Knight, tant elle a suscité de réponses, reprises dans ce volume.(1)

C'est le seul regret que j'exprimerai. J'avais été accroché par la présence dans le recueil d'un extrait d'article de Robert Escarpit(2) chantant les louanges du nexialisme, la science fictive de l'unification des connaissances invoquée dans la Faune de l'espace.(3) Ce qui me conduisit à l'article d'origine d'Escarpit, paru en 1985.(4) Revenant sur mes pas, je suis allé ouvrir le présent ouvrage, et j'ai été happé. Les textes sont tirés de sources américaines peu connues de nous, y compris des fanzines des années 1940 et 1950, ou d'anciens numéros de Fiction. On retrouve aussi le texte du numéro du fanzine Ibis consacré au bestiaire de Van Vogt. Et une grande présence d'Altairac, non seulement par un article inédit sur les textes placés par Van Vogt en exergue des chapitres du Non-A, mais aussi par les textes de transition et d'introduction placés entre les différents articles.

Ceux-ci sont au nombre de plus de vingt, et je ne pourrai donc pas les commenter tous. Disons qu'ils sont classés à peu près dans l'ordre chronologique de l'œuvre de Van Vogt, tâche rendue difficile par l'histoire éditoriale de ses traductions en France, et surtout par l'habitude de l'auteur d'aller reprendre ses textes anciens pour les assembler en fix-ups, souvent avec des modifications significatives qui rendent nécessaire une référence à la publication originale pour bien les comprendre. Ou pas. Car une autre constante des fictions van vogtiennes est la dose de folie et d'invention onirique qui entre toujours dans leur composition.

Le livre s'ouvre donc sur un texte anecdotique de Leslie A. Croutch (1942), document toutefois précieux car reflétant les débuts canadiens de Van Vogt. Les choses sont beaucoup plus sérieuses avec le long essai d'Arthur Cox (1952), qui représente une sorte de conclusion sur la meilleure période productive de Van Vogt ; il se livre à une étude sur la psychologie de l'écrivain telle que reflétée par ses œuvres et par son basculement récent dans la dianétique. Mais les théories de Kenneth Burke auxquelles fait appel Cox (Scène/Agent/Acte/Moyen/But) ne sont sans doute plus guère à l'ordre du jour. Troisième essai majeur d'origine américaine, et sûrement le meilleur des trois, la longue étude d'Alexei et Cory Panshin fait revivre l'éclosion de Van Vogt comme auteur campbellien, et la genèse de ses œuvres majeures (1989).

À cela il faut ajouter les œuvres des critiques français : Jacques Goimard, le « paladin van vogtien » selon Altairac qui lui dédie l'ouvrage, mettant sa brillante rhétorique au service de sa passion pour l'auteur ;(5) Gérard Klein, aux analyses sans faille ; et Jacques Sadoul, qui se risque à une étonnante interpolation dans l'univers de l'auteur… et plusieurs autres, toujours intéressants, et fascinés par l'auteur même quand ils lui opposent une vigoureuse critique idéologique, comme Bernard Blanc.

Je suis sorti de la lecture de cet ouvrage plus riche de quelques éclairages qui m'étaient inconnus (comme la dette due par l'Empire de l'atome à Robert Graves) et d'une palette de lectures d'une œuvre dont j'oubliais la diversité, sans doute à cause de la mauvaise impression que m'avaient laissée les œuvres tardives publiées en France dans les années 1970. Il faut revenir aux classiques, mais ne pas en limiter la liste exagérément ; si la Faune de l'espace, le Cycle du non-A et peut-être À la poursuite des Slans sont dans toutes les mémoires, le Cycle des Armureries, celui de l'Empire de l'atome, et de très nombreuses nouvelles méritent qu'on s'y replonge. Et l'ouvrage de poids de Joseph Altairac, avec ses pages denses et sa riche iconographie, est le prétexte rêvé pour aller piquer une tête.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 84, avril 2019

Lire aussi dans KWS la chronique par Pascal J. Thomas du parcours de l'œuvre d'A.E. van Vogt par… Joseph Altairac


  1. De larges extraits sont néanmoins donnés en introduction à la longue réponse de Jacques Goimard.
  2. Vous savez sans doute que j'ai entrepris d'explorer les nombreux liens du célèbre universitaire et humoriste bordelais avec la SF.
  3. Dont la première nouvelle commence par le fameux “On and on Coeurl prowled.”
  4. Qui semble encore intéresser ses collègues des sciences de l'information et de la communication, quelques-uns d'entre eux à tout le moins.
  5. C'était avant que le paladin ne devienne le spadassin stipendié de sa maison d'édition, avec toujours la même brillance mais parfois une dose d'opportunisme et de mauvaise foi.

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