KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Suzuki Kōji : Sadako

(エス, 2012)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2014

par ailleurs :

Spécialiste des images de synthèse, Ando Takanori se voit confier par son patron l'analyse d'un étrange fichier vidéo apparu sur l'internet. Ce film amateur montre le suicide par pendaison d'un homme non identifiable. Au fil des visionnages, Ando se rend compte que la vidéo évolue. Elle finit par laisser entrevoir le visage du pendu, un certain Kashiwada Seiji, un tueur en série condamné à la peine de mort pour le meurtre de quatre fillettes, douze ans plus tôt, et dont l'exécution a eu lieu peu de temps auparavant.

Souvent comparé à Stephen King, Suzuki Kōji est essentiellement connu, en France, pour sa trilogie Ring(1) publiée au Japon entre 1991 et 1998. Débutée comme une histoire d'horreur, avec une cassette vidéo maudite qui tue ceux qui la regardent, cette saga se termine à la manière d'un thriller d'anticipation avec un virus menaçant l'avenir de l'humanité. L'originalité et l'exotisme de Ring lui ont permis de conquérir une audience internationale à travers ses diverses traductions (dont française chez Pocket en 2002) et déclinaisons en manga (cinq volumes parus en France dans la collection Génération Comics de Panini) ou sur petit et grand écrans (une dizaine de versions, remakes hollywoodiens compris).

Depuis le succès de Ring, le public français n'a eu que des échos lointains de la production de Suzuki Kōji. Il a pu ainsi retrouver quelques courtes histoires orbitant autour de Ring réunies dans un très opportun Ring zéro (Pocket, 2003) et une nouvelle plongée dans l'angoisse avec Dark water (Pocket, 2003). Si l'on excepte une Croisière sans retour, adaptation télévisuelle d'une nouvelle du romancier nippon, diffusée en 2007 dans le cadre de la seconde saison Masters of Horror, Suzuki Kōji semblait avoir complètement disparu du paysage littéraire fantastique.

Pourtant, tout comme Stephen King retournant régulièrement sur ses terres de Castle Rock, Suzuki Kōji revient, avec son dernier livre, dans l'univers de Yamamura Sadako. Les cassettes vidéo, même maudites, n'étant bien évidemment plus d'actualité, c'est par l'intermédiaire d'un fichier numérique qu'il nous fait pénétrer dans son monde. Il reprend le schéma classique de l'enquête, avec Ando Takanori dans le rôle de l'investigateur, pour un récit qui est loin d'être déplaisant, mais qui donne bien souvent l'impression d'avoir été uniquement écrit dans le but d'être adapté au cinéma ou à la télévision. En effet, plus encore qu'avec les autres romans du cycle Ring, les mots de Suzuki ont ici un grand besoin d'images.

On peut d'ailleurs noter que ce manque flagrant aurait pu être comblé par le réalisateur nippon Hanabusa Tsutomu qui a signé, en 2012, un Sadako 3D, puis un Sadako 3D 2, l'année suivante. Mais ces deux longs-métrages, inédits en France, ne méritent vraiment pas le titre d'adaptation, tant ils s'éloignent du texte original. Leurs scénarios simplifient drastiquement l'intrigue du livre, effaçant bon nombre de personnages et ramenant sur le devant de la scène, et en trois dimensions, le fantôme de Sadako dans la version popularisée par le film Ring de Nakata Hideo (1998).

Le nouveau roman de Suzuki Kōji fait donc tout naturellement le lien entre les précédents ouvrages qui ont participé à la création de la mythologie Ring, mais il n'en constitue certainement pas la conclusion. En effet, même arrivé au terme des quelque trois cent cinquante pages de ce livre, il reste plusieurs questions sans réponse et certains mystères non élucidés qui laissent penser que Sadako est bien loin d'être l'ultime épisode de cette malédiction virale.

Bien moins surprenant que Ring (avec sa cassette vidéo maudite) et beaucoup moins novateur que la Boucle (avec son virus du cancer métastatique humain), Sadako apparaît au final comme un étrange mélange de retour vers le passé et de projection vers le futur. Ainsi, Ando Takanori renvoie à la trilogie passée puisqu'il n'est autre que le fils d'Ando Mitsuo, personnage central de Double hélice, second des trois chapitres du Ring, faisant le lien entre hier et aujourd'hui. Quant à Maruyama Akané, la fiancée de Takanori, elle est visiblement sous-exploitée, surtout lorsque le mystère de ses origines est dévoilé et que l'on se doute que sa récente maternité n'est pas totalement naturelle. Cet enfant à naître porte peut-être en lui les germes du futur.

En publiant Sadako et surtout en rééditant l'intégrale de Ring en un volume, Univers Poche, via ses filiales Fleuve noir et Pocket, offre une occasion de découvrir ou de redécouvrir cet auteur obsédant qu'est Suzuki Kōji. Et, s'il faut choisir entre les deux, autant privilégier la trilogie originale, et ses quelque mille quarante pages, qui reste plus prenante et plus intrigante que cette suite que l'on peut réserver aux fans du “Stephen King japonais”.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 74, septembre 2014


  1. Ring, Double hélice & la Boucle.

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