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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 46 Double hélice

Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003

Suzuki Koji : Double hélice

(Rasen)

roman fantastique ~ chroniqué par Philippe Paygnard

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Médecin légiste, Mitsuo Ando a la douloureuse surprise de découvrir que le défunt qui se trouve devant lui, sur la table d'autopsie, n'est autre que son camarade d'université Ryuji Takayama [1]. Cela faisait bien des années qu'il ne l'avait revu et le destin leur joue un bien mauvais tour en les mettant face à face en ce lieu. Mais Ando est un professionnel avant tout et il va essayer de découvrir ce qui a provoqué la mort de son ami.

Double hélice reprend le fil des événements peu de temps la conclusion de l'autre roman de Koji Suzuki, Ring. Au premier abord, ce second récit se présente comme une véritable enquête policière, celle que mène Ando pour éclaircir les circonstances de la mort de son ami Takayama. On pourrait presque se croire dans une aventure du docteur Kay Scarpetta, cependant les investigations d'Ando ne l'entraînent pas sur la piste d'un criminel, mais sur celle d'un véritable mystère que l'on pouvait croire entièrement élucidé dans les dernières pages de Ring. Cette mystérieuse malédiction a provoqué le décès de Ryuji Takayama et de plus d'une demi-douzaine de personnes frappées par la mort après avoir visionné une simple cassette vidéo. Koji Suzuki reprend sensiblement la même démarche narrative que dans Ring. On retrouve donc un homme menant l'enquête sur des morts mystérieuses, sans cette fois-ci jouer la carte du compte à rebours mortel. Mitsuo Ando semble donc avoir tout son temps pour percer le mystère. Mais ce n'est peut-être qu'une apparence, un piège tendu par Suzuki à son personnage comme à ses lecteurs. Car le romancier nippon nous entraîne de surprises en surprises au gré de ses nouvelles révélations sur la malédiction de Sadako Yamamura.

Tout comme dans Ring, Suzuki s'éloigne de la traditionnelle histoire de fantômes pour intégrer des éléments techniques et scientifiques à ce récit de spectre et de vengeance. Mais, au-delà des explications vraies ou fausses que livrent ses personnages au fil des pages, il promène lecteurs et personnage de rebondissements en surprises parfois morbides. Alors que Ring se terminait sur une note d'espoir puisque, après la mort de Takayama, Asakawa avait apparemment trouvé le moyen de vaincre la malédiction, Double hélice fait brutalement disparaître toute espérance et ce, dès ses premières pages. En effet, Suzuki nous apprend par la voix d'Ando que, malgré tous ses efforts, Asakawa n'a pas réussi à sauver son épouse et son enfant. Pire encore, il devient vite évident qu'il a également condamné à mort ses beaux-parents en leur faisant visionner la cassette vidéo maudite dans l'espoir de contrer la malédiction qui a frappé sa femme et son fils. Sept jours après, la mort les a tous frappés comme la malédiction l'avait annoncée. Le mystère de la survie d'Asakawa reste donc entier et il ne faut pas compter sur ce dernier pour en savoir plus, car il a sombré dans un état catatonique après la disparition des êtres qu'il aimait le plus au monde.

Avec Double hélice, Koji Suzuki réussit ainsi un coup de maître. Il parvient en quelques pages à remettre en cause toutes les certitudes acquises à la lecture de Ring. La minutieuse enquête d'Asakawa et de Takayama semblait pourtant avoir permis de découvrir la source de la malédiction et les motivations de Sadako. Le mode opératoire de sa vengeance semblait lui aussi on ne peut plus clair, et voici que Suzuki nous fait découvrir de nouveaux aspects de cette malédiction. Loin de n'être qu'un simple sortilège autour d'une cassette vidéo, la malédiction de Sadako prend une dimension épidémique et même génétique que seul un médecin tel que Mitsuo Ando peut révéler au monde. Cependant, alors qu'Asakawa luttait pour sauver sa vie et celle des siens, Ando n'a rien à perdre car il a déjà tout perdu. Son fils s'est noyé sous ses yeux et cette mort a brisé son couple et presque brisé sa vie. Il ne parvient à occulter ce souvenir douloureux qu'en se plongeant dans le travail avec l'énergie du désespoir. C'est cette même volonté qui l'anime lorsqu'il se plonge à corps perdu dans l'enquête sur la mort de son ami jusqu'à ce qu'il soit à son tour happé par le mystère.

Bien qu'il soit publié dans la collection "Terreur" chez Pocket, le roman de Koji Suzuki crée surtout une sensation d'angoisse sourde, pénétrante et tenace qui ne fait que croître au fil des pages. À cette impression dérangeante, s'ajoute le fait que Suzuki nous montre avec quelle facilité la malédiction de Sadako Yamamura détourne les moyens modernes de communication pour se diffuser. En filigrane, le récit de Koji Suzuki contient aussi une certaine critique de la société japonaise actuelle et des médias modernes.

Si Double hélice peut se lire indépendamment de Ring, il est plus que recommandé de lire les deux romans de Koji Suzuki et, bien évidemment, dans l'ordre chronologique pour profiter au mieux de toutes les surprises que le romancier réserve à ses lecteurs. Arrivé au terme de Double hélice, il est évident que tout n'a pas été dit sur la malédiction de Sadako Yamamura. Tous les secrets n'ont pas été révélés et tous les mystères ne sont pas éclaircis. On ne peut qu'espérer que Pocket ou un autre éditeur publie prochainement l'ultime volet de la trilogie Ring [2], car Suzuki, le “Stephen King japonais”, est un auteur surprenant et diablement intéressant.

Notes

[1] Un brin de nostalgie hors sujet. Dans les adaptations cinématographiques de la trilogie Ring par Hideo Nakata, le rôle de Ryuji Takayama est interprété par Hiroyuki Sanada. Ce dernier était Ayato dans la série San Ku Kaï diffusée, il y a bien longtemps déjà, à la télévision française.

[2] Comme le précise la notice biobibliographique de Koji Suzuki, la trilogie Ring comprend Ring, Rasen (Double hélice) et the Loop (la Boucle), ainsi qu'une nouvelle, "Birthday" ("l'Anniversaire"), qui en constitue le prologue.