KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

S.G. Browne : Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l'amour

(Breathers: a zombie's lament, 2009)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2014

par ailleurs :

La vie de zombie n'est pas simple. Danny Warner en fait quotidiennement la cruelle expérience. À la suite d'un accident de voiture, il a perdu sa femme et la vie, mais lui a connu une résurrection spontanée et pas elle. Confié à la garde de ses parents, Danny habite désormais dans leur cave. En tant que zombie, il a perdu toute place dans la société, même s'il doit participer à une thérapie de groupe avec d'autres morts-vivants et suivre des séances d'analyse avec un psy respirant. Et, à chaque incartade, il risque de se retrouver dans une cage, entre chiens et chats, à la S. P. A.

Personnages emblématiques du genre horrifique, avec les vampires et les loups-garous, les zombies ont bien évidemment été rendus populaires, au cinéma, par George A. Romero et sa Nuit des morts-vivants (1968). Depuis, films, séries TV, romans et bandes dessinées ont, à maintes reprises, visité et re-visité cette thématique de manières plus ou moins originales.

Avec Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l'amour, S.G. Browne, auteur par ailleurs d'Heureux veinard, un polar loufoque publié, en France, dans la célèbre "Série noire" des éditions Gallimard, en 2012, s'éloigne radicalement de l'archétype du zombie décérébré et avide de chair humaine. Ses morts-vivants ne sont que des êtres humains ordinaires dont la mort n'a pas voulu et qui officiellement n'appartiennent plus au monde des vivants. Andy, héros et narrateur de ce roman, est tristement conscient de son sort et, tout en faisant tout ce qu'il faut pour éviter la lente et inexorable décomposition qui le guette, il cherche sa place dans une société qui le rejette, l'ayant privé de son statut de citoyen et de sa condition de père.

On peut d'ailleurs noter que, dans le monde décrit par Andy Warner, les zombies font partie intégrante de l'histoire des États-Unis puisque l'on apprend, au détour d'un chapitre, que certains d'entre eux furent désignés volontaires pour débarquer en première ligne sur les plages de Normandie. Ce faisant, S.G. Browne crée un univers parallèle qui fait écho à celui développé dans le film Fido réalisé par le Canadien Andrew Currie (2006).

Ce n'est certes pas la première fois qu'un auteur détourne les zombies de leur quête primale de nourriture. Ainsi, Dale Bailey, dans sa nouvelle "Death and suffrage", publiée en 2002 aux États-Unis, ramène d'entre les morts des vétérans avides de voter. Ce texte a été très librement adapté par le réalisateur Joe Dante pour l'épisode "Vote ou crève" de la série télévisée Masters of Horror (2005).

Ce n'est pas non plus la première fois que l'histoire est racontée du point de vue du zombie. Il y a ainsi ce court texte d'Isaac Marion, "I am a Zombie filled with love", devenu roman sous le titre Warm bodies, en 2010, puis comédie romantique zombiesque sous la direction de Jonathan Levine, en 2013.

Mais c'est certainement la première fois que toutes ces variations autour du thème du mort-vivant sont réunies dans un roman, narré à la première personne par un zombie qui cherche à récupérer une identité à travers, notamment, le numéro de sécurité sociale qu'on lui a retiré à son décès et son rôle de père d'une enfant respirante.

 

À cela, S.G. Browne ajoute une dimension rarement abordée dans la plupart des œuvres consacrées aux zombies, à savoir la sexualité des morts-vivants. Ce qui permet au romancier de poser, par l'intermédiaire de son héros, une question essentielle : « Est-ce de la nécrophilie, si on est morts tous les deux ? ».

Enfin, S.G. Browne n'oublie pas de fournir une explication tout à fait raisonnable au régime alimentaire de prédilection des zombies : la viande de respirant.

Reprenant à son compte l'aspect critique sociale, ainsi que l'humour noir, de l'œuvre de Romero, S.G. Browne se permet d'aller encore plus loin. En donnant la parole aux morts-vivants, il fait de son roman, en plus du récit captivant qu'il est, un très intéressant réquisitoire contre toute forme de discrimination.

De leur côté, avec Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l'amour de S.G. Browne, les éditions Mirobole poursuivent leur travail d'exploration de la littérature de genre internationale et offrent à découvrir un livre dont la lecture est des plus recommandables.

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