KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Tom Piccirilli : la Rédemption du marchand de sable

(the Dead letters, 2006)

roman policier fantastique

chronique par Jérôme Charlet, 2009

par ailleurs :

À l'occasion de la sortie française d'un deuxième roman de Tom Piccirilli (traduit par Michelle Charrier), penchons-nous sur ce roman complexe et fascinant, comme l'était un Chœur d'enfants maudits.

L'intrigue commence comme un thriller très conventionnel, avec tous ces livres parlant de tueurs en série. Pensez donc : le héros, Eddie Whitt, est un père désespéré. Sa petite-fille âgée de cinq ans, Sarah, fut la première victime d'un serial killer connu sous le nom de Killjoy. Et aussi le destinataire exclusif des lettres que le tueur écrit pour expliquer ses crimes. Et quoi que cela puisse lui coûter, il est bien décidé à lui faire payer.

Première différence : ce n'est pas cette première chasse qui est le vrai sujet du livre. Car l'intrigue commence cinq ans après la fin des crimes, alors que le tueur court toujours… Ce tueur, qui étouffe ses victimes sous leur propre oreiller avant d'y dessiner un visage souriant, vient de refaire surface. Mais plutôt que de continuer son œuvre morbide, il semble vouloir se repentir. Pour ce faire, il enlève des enfants maltraités pour les confier aux familles de ses anciennes victimes…

Comme toujours dans l'écriture de Tom Piccirilli, la narration est secondaire devant les personnages proprement humains qu'il brosse. Au premier rang de ces personnages, le couple improbable que forment Eddie Whitt et Killjoy. Personnages que tout oppose, mais qui, au fil de leur vie, et du fait de cet acte fondateur de leur rencontre (la mort de Sarah), vont peu à peu se rapprocher l'un de l'autre.

Si Eddie Whitt quitte sa vie simple et se met à la recherche, sans merci, du tueur, s'il est prêt à contrevenir à la loi, c'est à cause de Killjoy. Si, plus tard, il se met à se poser des questions sur la sincérité du repentir du tueur, c'est aussi parce que son esprit, peu à peu, a été contaminé par la vision du serial killer, c'est aussi parce que son esprit, peu à peu, s'est plongé dans l'abîme.

Et si Killjoy effectue ces actes d'étrange repentance, n'est-ce pas aussi parce que, à travers Eddie Whitt, il a fait l'expérience de l'humanité, de l'empathie humaine ?

C'est sans compter sa femme, qui s'est repliée dans la folie. Ou l'infirmier qui veille sur elle, et qui se prend pour son gardien et son preux chevalier. Ou cette secte à laquelle a été volée une enfant. Ou le beau-père d'Eddie, son ancien patron, qui lui reproche la mort de sa petite-fille et cette proximité avec Killjoy.

Comme dans un Chœur d'enfants maudits, l'élément fantastique est diffus, faisant la part belle au doute, aux interstices entre la réalité et le monde intérieur des personnages.

Mais ce roman est aussi un des plus intéressants quant à l'une des obsessions présentes dans l'œuvre de Tom Piccirilli : le thème de la famille. En effet, la question qui anime ce livre, c'est celle de la paternité : qu'est-ce que cela implique vraiment, d'être père ? À quelle frontière de votre vie cela vous mène-t-il ?

Les postures en réponse à cette question défilent. Eddie Whitt, bien sûr, qui s'implique sans autre vie dans la vengeance. Sa femme aussi, qui s'est effacée du monde. Ces autres femmes et hommes, à qui Killjoy a rendu un enfant, avec leur multitude de réactions désespérées. Son beau-père également. Et jusqu'à la révélation finale, où l'on découvre que Killjoy lui-même se pose cette terrible question.

Tout cela nous pousse également à nous interroger sur Tom Piccirilli lui-même. Ces personnages, qu'il brosse avec une humanité magnifique, jusqu'à quel point s'implique-t-il en eux ?‥

Qui plus est, ce roman, dans la réponse absolue que donne Eddie Whitt à son existence, jusqu'à la frontière de la folie, s'inscrit parfaitement, à mes yeux, dans le Zeitgeist des auteurs à la marge que l'on peut lire depuis quelques années (Brian Hodge, la clique des Bizzaro, David Calvo…). Devant la folie de notre monde et notre civilisation qui part en sucette, est-ce que finalement le bizarre, le fantastique, l'étrange, l'irréel et le sur-réel, le regard au-dessus de l'abîme, est-ce que finalement cette posture n'est pas la seule véritable solution qui ait un sens ?

Si Albert Camus avait pu lire Tom Piccirilli, il aurait écrit : « Il faut imaginer Eddie Whitt heureux. » .

Vous l'aurez compris, ce roman est magnifique et formidable. Tom Piccirilli y parvient à nous emmener dans son monde, étrange, c'est certain, glauque, parfois, mais toujours avec une justesse humaine et un sens de la vie impeccable. La plus grande marque des grands poètes.

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