KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Peter Watts : Vision aveugle

(Blindsight, 2006)

roman de Science-Fiction

chronique par Jérôme Charlet, 2009

par ailleurs :

La hard science n'est pas morte ! Vous aimez les textes denses, fouillés, qui sortent l'artillerie conceptuelle lourde ? Alors ce roman est pour vous… peut-être !

Le pitch ? Il y a quelques années, des milliers de sondes sont venues orbiter autour de la Terre, pour nous “prendre en photo”. Une fois ces données récupérées, les sondes se sont abîmées dans notre atmosphère… Mais nous sommes parvenus à découvrir les destinataires des informations collectées, quelque part dans le lointain de l'espace. Afin d'enquêter sur ces extraterrestres un peu trop curieux, une mission est envoyée, avec pour but le fameux Premier Contact. Elle est composée d'un équipage hétéroclite d'Humains plus ou moins améliorés : un vampire (capitaine du vaisseau), un linguiste (aux personnalités multiples qui travaillent de concert), un biologiste (relié physiquement à ses instruments), un militaire (dont la technique de base est l'aide apportée aux adversaires)… et surtout le narrateur du roman et accessoirement en charge de l'Histoire de ce grand moment.

Ce livre, ambitieux et aux ramifications complexes, ne remplit pas vraiment la lourde tâche qu'il s'est assignée. Et le premier de ses défauts — et pas le moindre à mes yeux —, c'est que sa hard science ultra-poussée est comme de la poudre aux yeux sur des sujets vus et lus des centaines de fois, qui possèdent déjà leurs chefs-d'œuvre et qui n'apportent rien d'un tant soit peu conceptuellement titillant. Voici donc un n-ième Solaris mâtiné de quelques scènes à la Event Horizon: le vaisseau de l'au-delà, le tout saupoudré de termes scientifiques lourds et souvent incompréhensibles.

Car l'écriture de Peter Watts n'a pas la fluidité de certains grands textes au background scientifique lourd, proposant un effet de surface très désagréable. C'est très bien d'écrire une Science-Fiction la plus exacte possible pour ce qui est de sa scientificité — et la postface est là pour montrer les longues recherches menées par l'auteur pour y parvenir. Mais en tant que lecteur, il m'est souverainement désagréable de lire que telles sondes envoyées ont suivi une trajectoire en « spirales de Lorentz » ou que le regard d'untel est parvenu à percer « toutes ces couches de Kapton, de Chromel et de polycarbonate ». Et le roman est rempli de ces termes encore une fois certainement tout à fait exacts et intelligents, mais pas du tout parlants.

Tout se passe comme si l'auteur avait fait de la scientificité de son ouvrage l'objet premier, oubliant que des lecteurs allaient lire ce qu'il écrivait.

C'est pourquoi cette foule hétéroclite d'individus a été choisie : on a envoyé le meilleur linguiste (qui possède quatre personnalités en lui), le meilleur biologiste, etc. Mais on a oublié le tout premier d'entre eux : un émissaire. Vous imaginez une mission de premier contact sans émissaire ? Tout se passe comme si l'auteur n'y avait même pas ne serait-ce que pensé…

Et pourtant, le sujet final soulevé, caché derrière cette mission de contact avec une forme de vie autre, aurait pu donner matière à un roman inoubliable. Tout comme dans Solaris — oui, encore… — mais à une échelle plus pointue, ce qui intéresse Peter Watts dans ce roman, c'est de s'interroger sur l'Homme et sa dimension consciente/inconsciente. Quelle place possède l'intelligence et la conscience dans le processus naturel de l'espèce humaine ? Pourquoi donc sommes-nous conscients, alors que c'est un processus gourmand en énergie, et que d'autres formes de vie s'en sortent plus que parfaitement sans cette sacro-sainte conscience ?

Questions existentielles s'il en est, qui sont abordées tout au long du roman, et qui en fournissent le fil rouge le plus intéressant. Mais, encore une fois, de manière tellement opaque et tarabiscotée que c'est une gageure de savoir ce que diable ce roman a voulu réellement en dire.

Bref, vous l'aurez compris, ce roman n'est pas parvenu à me convaincre. Pour moi, la mayonnaise ne prend pas, et il y a comme quelques grains de sable dans la sauce. Mais je préjuge ici que ce livre aura un destin intéressant, divisant les critiques, faisant se positionner qui l'aura lu. Bref, fera parler de lui, et en cela, c'est un livre qui mérite un peu plus qu'une vision à l'emporte-pièce. À noter d'ailleurs qu'il a été nommé pour le Hugo 2007 et a eu l'honneur d'une prénomination pour le Nebula 2008, mais sans remporter un seul de ces prix.

Saluons ici par contre l'incroyable travail du traducteur (Gilles Goullet), qui a dû avoir un sacré pain sur la planche à traduire un tel roman, et pour un résultat vraiment, pour le coup, époustouflant.

Jérôme Charlet → Keep Watching the Skies!, nº 64, novembre 2009

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