Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Nancy Kress : the Probability trilogy

romans de Science-Fiction, 2000-2002

traduction française en 2003-2005 : la Trilogie de la Probabilité

Ellen Herzfeld, billet du 16 décembre 2005

par ailleurs :
 

Bien que Nancy Kress soit un de mes auteurs préférés, j'ai attendu que les trois romans de cette série soient parus avant de les mettre sur ma pile de livres “à lire”. Trois romans, donc, Probability moon, Probability sun & Probability space,(1) que j'ai lus avec plaisir et que je conseille sans hésiter à ceux qui aiment la bonne Science-Fiction, certes traditionnelle, mais fort bien faite et assortie de quelques idées à mon avis originales.

L'Humanité a pu explorer de nombreux systèmes stellaires grâce à des portes, des tunnels permettant de passer d'un système à un autre quasi instantanément. Ce moyen de transport formidable, apparemment mis en place par une espèce très ancienne et très avancée qui a disparu, fonctionne parfaitement et les Humains, sans comprendre ni la science ni la technologie mises en œuvre, s'en servent pour explorer et coloniser l'univers. Ils découvrent de nombreuses espèces “intelligentes” avec des civilisations plus ou moins avancées, toutes plus ou moins humanoïdes. Une seule ne l'est pas et en plus manifeste une hostilité totale et un refus absolu de communiquer : les Faucheurs. Leur seul objectif semble être la destruction sans appel de tout ce qui leur est étranger. Ce qui aboutit rapidement à une guerre que les Humains sont en train de perdre.

Un des mondes habités par des humanoïdes pacifiques s'appelle tout simplement Monde. Cette planète, fertile et agréable, comporte sept lunes, dont l'une s'avère être en fait un objet artificiel, construit, on le suppose, par la même espèce disparue qui a créé les tunnels.

Un vaisseau est envoyé sur place pour étudier la lune artificielle, mais cette mission secrète est dissimulée derrière une autre mission, de nature anthropologique. L'histoire se déroule donc en deux parties séparées qui se nouent progressivement.

Sur Monde, les Humains vivent dans une harmonie quasi parfaite grâce à — ou à cause de — quelque chose qu'ils nomment la réalité partagée. Si une majorité de personnes considère un fait comme étant “vrai” ou “réel”, tout le monde partage immédiatement ce point de vue. Ainsi, la vision du monde de tous les habitants est toujours en phase. S'il y a divergence, la personne qui, pour quelque raison que ce soit, ne partage pas la réalité consensuelle, souffre immédiatement d'un mal de tête terrible. Si quelqu'un fait quelque chose de particulièrement grave selon leur culture, il est déclaré “irréel” et son sort n'est pas enviable. Bien souvent, il ne vit pas longtemps mais, parfois, il peut se racheter en rendant des services à la prêtrise.

Sur ce monde, à l'insu des indigènes, les Humains découvrent un nouvel objet laissé par les constructeurs disparus, un artefact similaire à la lune artificielle.

Dans le vaisseau en orbite, les savants cherchent à comprendre comment fonctionne l'objet lunaire et pensent pouvoir s'en servir comme arme contre les Faucheurs. Mais avant d'avoir pu mener à bien leur projet de déplacer la lune vers le système solaire, les Faucheurs apparaissent et…

 

Je ne veux pas dévoiler la suite, qui compose en fait les deuxième et troisième volumes. Mais je peux dire qu'on suit une série de personnages intéressants. Tom Capelo, un homme amer, peu docile, mais génie dans son domaine scientifique, qui apporte les éléments de hard science à l'histoire. Sa fille Amanda, qui passe une bonne partie de son temps à essayer de comprendre ce qui se passe : elle a quatorze ans dans le volume trois où on la voit le plus, et son comportement et ses réactions sont fort bien vus. Marbet Grant, une Sensitive, chez qui la capacité naturelle de lire les expressions et le “langage du corps” est développée de façon extrême, au point d'être presque télépathe. Lyle Kaufmann, un militaire parfaitement bien intégré au système, mais qui garde un esprit critique et une réflexion indépendante. Enli, une fille de Monde condamnée à être “irréelle” mais qui devient le contact principal des terriens. C'est surtout au travers d'elle qu'on explore la réalité partagée, ses avantages et ses inconvénients. Ils ont tous des personnalités complexes et il n'y a pas, du moins parmi les principaux personnages, de “très gentil” ni de “très méchant”, ce qui est plutôt pour me plaire.

Quelques points mineurs en négatif. Comme l'histoire se passe en continu au travers des trois volumes, il y a un certain nombre de répétitions, parfois mot à mot, sur plusieurs paragraphes. C'est sans doute utile et moins visible si on lit chaque volume à parution, donc avec un assez long délai entre chaque. Mais si on les lit à la suite, ça fait un peu lourd. De même, comme l'histoire n'est pas très compliquée, il y a parfois un peu trop d'explications mais ça ne m'a pas vraiment dérangée.

Sur le plan positif, il y a la prose de Nancy Kress, simple et directe, qui n'interfère jamais avec la lecture. Reposant. Il y a de l'action, de la psychologie, de la spéculation, de l'introspection. Tous les ingrédients qu'il me faut pour ma sauce SF. Ce n'est pas une série que je qualifierais de géniale, mais c'est bien fait, intéressant et agréable. Et la notion de réalité partagée a un peu changé ma façon de voir le monde. Que demander de plus.


  1. Respectivement Réalité partagée, Artefacts & les Faucheurs chez Pocket.

Commentaires

  1. ubik53mercredi 15 mars 2006, 19:57

    Bien sûr, on sent le côté fabriqué — on dira construit pour être gentil — de la série et le délayage organisé par un traitement de texte, et Nancy Kress ne rivalise pas (encore) avec Ursula K. Le Guin ou même Mary Gentle pour la description fouillée d'une société anthropomorphique autre. Néanmoins, c'est agréable à lire et vous aurez droit à un développement pédagogique clair (si, si) sur la théorie des cordes qui soutient la dynamique de l'histoire.

    Le meilleur titre étant le premier, vous n'avez aucune excuse pour ne pas lire cette série.

    En outre, c'est un inédit qui paraît directement en poche. Alors, merci Pocket !

  2. AKvendredi 10 août 2007, 23:22

    Du bon et du moins bon…

    Le bon, tout d'abord. À mon sens, il est surtout présent dans le tome 1, le seul à présenter une réelle originalité. La Réalité Partagée apporte un point de vue étrange et novateur à l'ouvrage. Les personnages sont crédibles, et on sent le travail de fond effectué par l'auteur au niveau du cadre scientifique (la trilogie mérite amplement le qualificatif de hard science, sans pour autant être inaccessible aux “non-initiés”). L'auteur développe entre autres la question de l'opposition entre les scientifiques et les militaires, traitée avec réalisme. S'il n'est pas transcendant, l'ouvrage mérite largement la lecture.

    Artefacts est aussi un bon livre, bien qu'inférieur à son prédécesseur. Le scénario et l'intrigue perdent beaucoup en dynamisme, en particulier au début. L'action est quelque peu répétitive. Cet état de fait disparaît au milieu du livre, ce qui me fait dire que ce dernier ne commence en fait qu'à la moitié des 411 pages.

    Pour autant, on fait la connaissance de nouveaux personnages qui seront, plus que les protagonistes du tome 1, les véritables acteurs de la trilogie. Bien ficelés, cohérents.

    On passe sur le “copier/coller” de passages descriptifs du tome 1. Ceci sera répété dans le tome 3 et évoque, pour moi, un certain manque de sérieux. Agaçant mais pardonnable.

    Les questions “philosopho-politiques” abordées, à savoir l'intrusion de notre civilisation dans une autre et l'anthropisation forcée, sont intéressantes mais souffrent d'un certain manque d'approfondissement. Rien de très grave, mais disons que ç'aurait pu être mieux…

    Ma grosse déception a été les Faucheurs, dernier tome. Premièrement parce que Monde, intérêt central des livres précédents, n'est que survolée. L'intrigue progresse avec mollesse, principalement à mon avis à cause de l'arrivée d'un nouveau personnage qui alourdit inutilement le tout.

    Ensuite, contrairement à ce qu'on est en droit d'attendre à la lecture du titre (certes laissé au choix du traducteur, mais je permets de contester le bien-fondé de ce choix…), les Faucheurs ne constituent pas le thème central. Toute l'histoire est bâtie sur les actions du général Pierce, dictateur nouvellement à la tête du système solaire et possesseur “inconscient” de l'artefact.

    Ainsi, ce qui aurait pu être une exploration du choc frontal entre deux civilisations totalement différentes (comme les descriptions de Nancy Kress le laissaient supposer) se transforme en une maigre “entrevue” de cinquante pages maximum, éclipsée par la description laborieuse d'une machination politique finalement banale.

    On apprend rien de plus sur les Faucheurs que dans Artefacts, et l'énigme des concepteurs des tunnels spatiaux reste désespérément entière.

    Les Faucheurs laisse un goût désagréable d'inachevé, d'incomplétude et de retour à la banalité après des débuts prometteurs. C'est dommage…

    Pour conclure, je ne déconseillerais pas la lecture de la série, intéressante et bien écrite, mais sans pour autant aller jusqu'à l'encenser de manière inconditionnelle…

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