Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Michael Flynn : Up Jim River (Spiral Arm – 2)

roman de Science-Fiction inédit en français, 2010

Ellen Herzfeld, billet du 2 mai 2011

par ailleurs :

En rédigeant mes impressions après avoir terminé un livre, j'ai jusqu'à présent fait attention à ne pas dévoiler des éléments qui pourraient gâcher le plaisir de futurs lecteurs. C'est une attitude que j'ai peut-être apprise à force de lire, depuis des années, les critiques dans Locus où les chroniqueurs évitent en principe les spoilers (terme qui serait traduit par béquet, mais que je n'ai jamais vu ou entendu utiliser en pratique).(1) C'est sans doute une bonne chose pour les lecteurs, mais dans mon cas, ça a des inconvénients. Car si j'écris, c'est un peu pour moi, pour pouvoir me remémorer mes impressions d'un roman. Mais comme je ne raconte pas l'histoire dans sa totalité ni jusqu'au bout, si j'oublie les détails de l'intrigue et même le dénouement, ce n'est pas la relecture de mes écrits qui va m'aider. Ce qui n'a en général pas beaucoup d'importance, sauf dans le cas précis d'un deuxième tome qui est publié assez longtemps après le premier et où la connaissance des événements du premier est utile pour bien comprendre la suite.

C'est ce qui s'est passé avec Up Jim River, qui est une suite directe de the January dancer, que j'ai lu il y a plus de deux ans. De sorte qu'après avoir commencé le nouveau, je suis partie relire les dernières pages du premier pour pouvoir m'y retrouver. J'aurais pu me douter que l'auteur n'en avait pas terminé car la fin de the January dancer m'avait paru incomplète, comme je l'ai écrit à l'époque. Lorsque je sais d'avance qu'il y aura une suite, j'attends d'avoir l'ensemble avant de me lancer. Par exemple, j'ai lu Spin de Robert Charles Wilson sans savoir que ce n'était pas tout (l'auteur ne le savait peut-être pas lui-même au départ). Mais quand Axis est sorti, je ne l'ai pas lu car je savais qu'un troisième volume était prévu. Vortex est imminent et je me demande bien si je ne vais pas carrément relire Spin avant de commencer. C'est un suffisamment bon livre pour que ce soit envisageable.(2)

Pour en revenir au sujet de ce billet, les événements d'Up Jim River commencent vingt ans après l'affaire du “January Dancer”. Dans le premier volume, un chapitre sur deux se passe sur la planète Jehovah, où l'homme balafré raconte à la jeune harpiste l'histoire du Danceur qui remonte à vingt ans, mais qu'on suit comme si on y était dans les autres chapitres. Donc ici, on retrouve la harpiste et l'homme balafré qui a fini son récit. La harpiste, Méarana — née après les événements décrits —, est la fille de Bridget ban [sic], héroïne du précédent volume. Celle-ci a disparu deux ans auparavant, sans laisser de trace. Elle a été recherchée pendant un temps par ses collègues Hounds mais ils la croient morte, car une Hound ne reste pas absente si longtemps sans donner de nouvelles au “chenil”. Méarana s'est mis en tête de retrouver sa mère, ou du moins de savoir où, comment et pourquoi elle est morte, si c'est le cas. Car une Hound ne part pas comme ça sans bonne raison, et ne rate pas sa mission pour des broutilles. Donc, elle cherchait forcément quelque chose d'important, et si elle a péri ça devait être dans des circonstances hors de l'ordinaire.

Elle arrive à convaincre l'homme balafré de l'accompagner. Il s'agit en fait du personnage principal du précédent livre, tantôt le Fudir, tantôt Donovan, qui à la fin s'était approprié le Danceur convoité par tous et, ayant compris le danger qu'il représentait, l'avait fait disparaître. Mais il a été pris par Ceux du Nom, maîtres de la Confédération qu'il avait trahis. Ceux-ci, pour le punir, lui ont littéralement découpé le cerveau de telle manière qu'il est maintenant habité par sept personnalités partielles, parfois antagonistes mais en fait complémentaires. Elles vont plus ou moins se chamailler pendant une bonne partie du roman, et prennent, pour quelques-unes d'entre elles, tour à tour les rênes du corps qu'elles partagent. Par exemple, le Pédant, celui qui dispose de la très excellente mémoire à long terme du héros, est toujours en train de la ramener car il a engrangé beaucoup de connaissances au fil des années. Son attitude — à l'origine de son surnom — agace les personnalités dominantes, celles de Donovan et du Fudir, qui l'envoient parfois balader, avec comme résultat qu'il boude et se retire, refusant de participer aux affaires et privant de ce fait le personnage d'informations qui seraient très utiles. De même, le Limier qui concentre les capacités de déduction, se fait parfois désirer et ne livre pas ses cogitations au moment opportun. Il y a l'Enfant intérieur, qui a peur de tout et cherche toujours la solution la moins risquée, et la Brute, celui qui se régale quand il y a de la castagne. Ce dernier arrive à même prendre le contrôle du corps pendant que les autres dorment et va à la salle de gym pour se maintenir en forme. Le résultat est que l'être multiple n'est pas toujours très opérationnel, mais c'est aussi un des aspects les plus intéressants et amusants de l'histoire.

Ils partent donc avec l'idée de suivre le chemin qu'a parcouru Bridget afin de récolter le plus d'indices possible sur sa trajectoire finale. Ce qui est l'occasion de visiter des planètes hautes en couleur et fort variées, à bord de vaisseaux où ils voyagent tantôt en première classe, tantôt quasiment dans la soute. (Il y a une carte au début du livre mais je ne l'ai pas trouvée très utile.) Sur l'une, Harpaloon, ils prennent la défense d'un pauvre type, Billy Chins, sur le point de se faire lyncher par une bande de voyous. Comme celui-ci est tenu par ses coutumes de servir, quasiment comme un esclave, celui qui lui a sauvé la vie, ils se retrouvent à voyager à trois. Sur une autre, Boldly Go, matriarchie interdite aux mâles sous peine de mort (après avoir fait office de fournisseur de matériel génétique), ils arrivent à obtenir la libération d'un homme, Teodorq Nagarajan, qui deviendra leur garde du corps. Et ainsi de suite jusqu'au dénouement final.

Dans les premiers deux tiers du livre, l'intrigue avance à très petits pas et a eu du mal à maintenir mon intérêt. L'essentiel est dans le décor et la description des lieux et des personnages, l'action consiste en grande partie à suivre les protagonistes qui vont d'un endroit à un autre, en espérant trouver à chaque étape un petit quelque chose qui leur indique où aller ensuite. Il leur faut décrypter des messages sibyllins laissés par Bridget et comprendre pourquoi elle s'était intéressée à certains livres anciens. Finalement, ils partent vers les contrées sauvages, hors des chemins habituels qui relient les planètes civilisées et technologiquement avancées. Là, sur une planète dont les habitants sont encore très primitifs, dans une zone extrêmement difficile d'accès, il y aurait un objet céleste étrange, considéré comme un dieu par les indigènes, qui viendrait régulièrement les visiter, pour féconder la terre mais aussi pour apporter la destruction. Ils ont des raisons de penser que c'est cet artefact qui intéressait la mère de Méarana. Pour parvenir à l'endroit en question, il faut remonter une rivière avec de nombreuses gorges et des chutes d'eau impraticables et ils doivent, pour y parvenir, être aidés par les membres pas très engageants des tribus successives trouvées sur le chemin. Les aventures s'accumulent donc dans le dernier tiers.

[Un paragraphe, qui aurait été le suivant, est reporté en note car j'y raconte tout jusqu'à la fin. Donc, caveat lector.](3)

L'écriture n'est pas pour rien dans l'attrait de ce livre. Le style est indiscutablement de niveau supérieur avec un quelque chose de rythmé et d'archaïque qui crée une ambiance très spécifique et marquante, ce que j'avais déjà noté dans le premier volume et que j'ai instantanément reconnu ici. Les divers langages et dialectes sont rendus en partie par des néologismes astucieux, en partie par des jeux sur la syntaxe et la grammaire, le tout assaisonné d'une forte sauce celtique que j'ai trouvée très bien faite et même amusante à décrypter. Un autre point fort est la façon très soigneuse dont l'auteur construit l'intrigue. Chaque événement compte, rien de ce qui est présenté n'est inutile et des incidents apparemment peu importants du début s'avèrent être des éléments nécessaires pour la suite.

Mais, malgré l'habillage somptueux, le fond se résume à une histoire de voyages et d'aventure, bien faite, avec quelques retournements, quelques personnages qui ne sont pas ce qu'ils semblent être et un dénouement bien mené mais un peu décevant. Mon problème principal est qu'il n'y a pas beaucoup de philosophie ni de “spéculation” au sens où je l'entends, c'est-à-dire de la réflexion sur le devenir de l'homme face au changement. Les protagonistes ne sont pas très introspectifs, même pas l'homme balafré, avec ses personnalités multiples. Méarana ne sort pas tellement du rôle de petite fille à la recherche de sa maman et c'est tout, même si elle est pleine de courage et sait manier l'arme blanche. Et malgré les nombreux systèmes visités et les descriptions parfois à rallonge de toutes les zones de la région du bras de la galaxie où ça se passe, je n'y ai absolument rien trouvé de cosmique. De sorte que je n'ai pas l'impression d'avoir été récompensée à la hauteur des efforts que j'ai dû fournir du fait de la complexité de l'écriture. C'est pour ça que finalement, tout en reconnaissant ses multiples qualités, je n'ai aimé ce livre que moyennement. Ce qui ne veut pas dire que je ne lirai pas le prochain épisode, car Donovan-Fudir reste un héros inhabituel et attachant, et ma curiosité naturelle me poussera certainement à vouloir connaître la suite de ses aventures.


  1. Il y a un endroit où j'ai lu des vrais résumés qui dévoilent tout : l'Année de la Fiction chez Encrage. En général, ça me coupait complètement l'envie de lire le livre.
  2. Note du 2 octobre 2011 : c'est bien ce que j'ai fait…
  3. Le dieu de la légende s'avère être en fait un gigantesque vaisseau de l'ancienne civilisation du Commonwealth, parti avec une cargaison de colons qui auraient dû s'installer sur une nouvelle planète dès que les machines avaient fini de la terraformer. Manifestement, une première vague de colons a pu être débarquée et les habitants actuels sont leurs lointains descendants. Mais avant que le projet n'ait pu être mené à son terme quelque chose a endommagé le vaisseau et ses systèmes internes tournent maintenant en boucle. Les colons restés à bord en hibernation sont pour la plupart morts. L'intelligence artificielle qui gérait tout ça n'a plus la notion du temps passé et pense à chaque cycle qu'elle arrive tout juste pour terraformer la planète. C'était bien ça que Bridget cherchait car les technologies du Commonwealth étaient dans certains domaines très en avance sur celles actuellement en cours. Ce qui explique qu'elle ait pu être capturée par l'IA psychotique du vaisseau. Le petit groupe a réussi à monter à bord du vaisseau ancien et découvre Bridget dans un module d'hibernation car l'IA est persuadée que tout humain qu'elle trouve en train de circuler ne peut être qu'un colon qui s'est réveillé avant l'heure. Après une bataille épique ou Bridget, Méarana et Donovan-Fudir doivent échapper d'un côté à une machine monstrueuse activée par l'IA pour les attraper et d'un autre à Billy Chins qui s'avère être un vrai ou faux traître selon son point de vue (on savait déjà qu'il était en réalité un agent de la Confédération mais il avait apparemment tourné sa veste). Donovan-Fudir (qui a avoué être le père de Méarana) est presque tué mais lui et les deux femmes arrivent à s'échapper, au prix de la destruction du vaisseau qui était le but de la quête de Bridget. Une destruction de merveille technologique que ne renierait pas Jules Verne. Méarana et Bridget repartent chez eux, Donovan-Fudir retourne sur Jehovah où il se retrouve dans son bar habituel. Et à la dernière minute, un autre des personnages du premier volume réapparaît, Ravn Olafsdottr, agent de la Confédération qui vient informer Donovan que Ceux du Nom ont de nouveau besoin de lui. Voilà qui annonce clairement une suite.

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