Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Robert Charles Wilson : Spin

roman de Science-Fiction, 2005

traduction française sous le même titre en 2007

Ellen Herzfeld, billet du 27 août 2005

par ailleurs :

Cet auteur, qu'il ne faut pas confondre avec Robert C. Wilson, a publié à ce jour douze romans et une poignée de nouvelles. J'en ai lu une grande partie et le reste ne devrait pas tarder. Depuis plusieurs années, je lis ses romans systématiquement dès parution et je n'ai jamais été déçue.

Le dernier en date, Spin, est excellent. Comme souvent chez Wilson, il s'agit d'une situation science-fictive originale et cosmique qui vient bouleverser la vie sur Terre, et qu'on découvre au travers de quelques personnages soigneusement décrits et mis en scène. Ici, c'est la disparition soudaine des étoiles et de la Lune qui plante le décor. En fait, ce n'est pas une “disparition” mais une occultation du fait de l'apparition d'une sorte de “membrane” autour de la Terre, qui l'isole du reste de l'univers. Cette membrane n'est cependant pas complètement opaque car elle laisse filtrer les rayons du Soleil de façon suffisante pour maintenir l'écologie de la planète. C'est une idée proche de celle de Greg Egan dans Isolation, mais traitée d'une façon totalement différente. Car l'élément principal est que le temps ne s'écoule pas à la même vitesse à l'intérieur et à l'extérieur de la membrane, de sorte qu'en une seconde sur Terre il se passe un peu plus de trois ans dans le reste de l'univers, et quelques dizaines d'années sur Terre (le temps de déroulement des événements du roman) correspondent à quatre milliards d'années ailleurs. Ce décalage temporel, avec l'univers qui tourne à toute vitesse autour d'une Terre presque statique, explique en partie le nom de "Spin" donné au phénomène. Ainsi, les Hommes peuvent envisager d'envoyer des bactéries sur Mars et transformer la planète en quelques années terrestres (quelques centaines de millions d'années sur Mars) en un lieu habitable. Évidemment, il y a d'autres conséquences car, relativement à la Terre, le Soleil vieillit très vite et bientôt il va gonfler et engloutir les planètes proches où aucune vie ne sera possible. L'histoire tourne autour de trois personnages, Diane et son frère jumeau surdoué Jason, et leur ami d'enfance Tyler, qui est le narrateur. Diane et Jason sont les enfants d'un certain E.D. Lawton, personnage fort antipathique, riche et ambitieux, qui profite de la situation sur le plan financier mais aussi et surtout pour devenir un conseillé influent du président, à la tête d'une entreprise aux projets grandioses. Son fils, dont les dons confinent au génie, devient son bras droit et consacre sa vie à comprendre le phénomène cosmique et peut-être empêcher qu'il ne soit fatal à l'espèce humaine. La situation de Jason est compliquée par une maladie qu'il doit à tout prix cacher. Diane, nettement moins appréciée de son père, trouve refuge dans une secte qui, comme tant d'autres, fleurit devant l'apocalypse imminente. Tyler, dont la mère, veuve du meilleur ami de E.D., se retrouve plus ou moins par charité à vivre sur le domaine des riches Lawton comme gouvernante, a grandi avec les jumeaux. Les liens qui se tissent sont complexes et sont au centre de l'histoire “humaine” du roman. On les voit enfants, puis adolescents et adultes, se séparer, se retrouver, comme cela est habituel dans toute vie normale, mais ici dans une société profondément transformée, entourée par le mystère du pourquoi et du comment du Spin et des êtres, qu'on appelle les Hypothétiques, qui en sont responsables. Tyler, homme modeste et résigné, qui a toujours été en retrait des flamboyants jumeaux, se retrouve en quelque sorte leur “gardien”, tant par le fait qu'il est médecin, et le médecin personnel de Jason quand il dirige une partie de l'entreprise de son père, que par l'amour qu'il porte, pendant longtemps sans espoir de retour, à Diane. Et je ne vous parle pas du Martien…

Il est impossible de classer simplement ce roman : récit très psychologique, c'est aussi par certains côtés un techno-thriller, et indiscutablement une réflexion cosmologique sur la place de l'Homme dans l'univers. L'écriture est fluide, passant avec aisance de l'intime au prodigieux, avec, dans certaines scènes, une imagerie qui vaut les effets spéciaux des films de SF à grand spectacle. De la vraie bonne Science-Fiction de premier ordre.

Pour ceux qui ne lisent pas l'anglais sans douleur, j'espère qu'un éditeur français l'a déjà acheté et qu'il est en cours de traduction.

P.S. du lendemain

En y repensant, je suis arrivée à une idée curieuse : ce roman n'est pas “éthique”. Certes, cela dépend de ce qu'on appelle éthique et du sens qu'on lui donne. Ou alors il est pessimiste, ou réaliste… Je m'explique : la civilisation terrienne décrite au début des événements correspond à la nôtre en ce moment : population en augmentation, ressources naturelles en diminution, dominance des mêmes pays développés dont les politiques s'intéressent surtout à l'élection à venir. Bref, ça va sans doute mal se passer à moyen ou à long terme. Les événements se produisent — je n'entre pas dans les détails pour ne pas déflorer l'histoire — mais disons que quelque chose quelque part a peut-être des bonnes intentions vis-à-vis de l'Humanité. Certes, il y a forcément quelques orteils écrasés au passage mais, finalement, on se retrouve avec une lumière au bout du tunnel. Et c'est là que le bât blesse. Car j'ai eu l'impression que la solution présentée à première vue comme positive, ou du moins aussi positive que possible, n'aboutirait qu'à l'infinie répétition des mêmes erreurs. En ce sens, j'ai trouvé le message un peu cynique ou, comme suggéré plus haut, tout simplement réaliste : même si l'Humanité trouve une solution pour survivre, elle sera toujours la même, ce qui n'est guère réjouissant. Cette réflexion n'enlève rien à la qualité du roman et au plaisir que j'ai eu à le lire. Simplement, la fin est plus ambiguë qu'elle ne m'a paru sur le coup.

Ellen Herzfeld → samedi 27 août 2005, 19:28, catégorie Lectures

Lire aussi le billet consacré à la suite : Axis.

Commentaires

  1. Naomardi 30 août 2005, 01:18

    Quel dommage que ce petit post-scriptum vienne gâcher un billet si bien commencé…

    Revoyez votre définition du “réalisme”.

  2. martian shakerjeudi 15 mars 2007, 14:42

    Je lis de la Science-Fiction depuis très longtemps et je la vois changer dans le bon sens. Avec des romans comme l'Ombre du Shrander, Isolation mais aussi comme le Voile de l'espace de Robert Reed — sur une thématique également similaire — il y a une approche nouvelle du récit. Ce ne sont plus des histoires, ou des récits "de Science-Fiction", trop souvent marqués à la culotte par une obédience aux genres en vigueur (space opera, speculative fiction, cyberpunk…) ; mais de véritables romans, dans le plein sens du terme, désormais affranchis du sense of wonder et des codes du genre.

    La richesse de Spin, à mon sens, est que le récit fait la part belle à l'introspection psychologique — entre saga familiale (les Lawton et les Dupree) et histoire d'amour (Tyrell et Diane) ; au polar (la traque en Indonésie), au millénarisme (la secte du Tabernacle & autres), à la réflexion sociologique sur le destin de l'humanité (comme vous l'évoquez). Car l'auteur nous a fait parcourir un bout de chemin vers la fin du monde, dans une symphonie narrative superbe ; Spin est un récit apocalyptique qui explore les profondeurs de l'âme humaine — à côté de quoi, en définitive, les motifs proprement SF, cette épopée solaire et cosmique, ce tournoiement improbable du temps, les Martiens, l'histoire des réplicateurs et la révélation de Jason, me laissent un peu sur ma faim.

  3. Hugo Blissjeudi 25 octobre 2007, 19:25

    Spin

    Merveilleux livre…

    En fait, malgré que le livre ne soit pas si épais, (bon, 500 pages reste quelque chose d'important, mais ce n'est pas non plus un pavé), il est extrêmement dense, du fait qu'il contient une quantité astronomique d'informations.

    Beaucoup de choses sont indiquées, et bien qu'il ait un côté très scientifique, je le trouve très humain aussi, il explique un peu le devenir de l'espèce, le fait que la fin approche, et malgré les solutions scientifiques que le monde nous apporte aujourd'hui, des forces nous dépassent, celles de l'espace, elles sont si colossales que nous ne pouvions lutter à une telle échelle, mais ce livre reste optimiste en fait, il y aura toujours une échappée, une voie vers un nouveau cycle, une nouvelle ère.

    Il y a aussi un léger humour qui n'est pas déplaisant dans le livre…

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