Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Kage Baker : In the garden of Iden

roman de Science-Fiction, 1997

traduction française en 2002 : Dans le jardin d'Iden

Ellen Herzfeld, billet du 25 juillet 2007

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Voici maintenant quelque chose de totalement différent. Accrochez-vous, parce qu'il y en a pour un moment : la série the Company de Kage Baker comporte pour l'instant douze volumes (huit romans, deux recueils, deux novellas) et je viens d'en lire le premier, In the garden of Iden. Le premier chapitre pose les fondations, les éléments qu'il va falloir accepter les yeux fermés pour pouvoir apprécier l'histoire. Au xxive siècle, un groupe de savants et de marchands qui avaient pour objectif avoué d'améliorer le sort de l'humanité, tout en gagnant quelques sous au passage, a été à l'origine de deux inventions majeures, le voyage dans le temps et l'immortalité. Avec quelques limitations quand même. Le voyageur temporel peut aller vers le passé et revenir dans son présent, mais ne peut jamais partir en direction de son avenir. Le déplacement dans le temps est horriblement coûteux et, en plus, on ne peut rien ramener avec soi. Les traitements, longs, complexes et pénibles, qui permettent de modifier le corps pour le rendre immortel — et le doter de toutes sortes d'améliorations — ne marchent vraiment que sur des enfants en bas âge. D'ailleurs, les immortels sont en fait des cyborgs qui se considèrent eux-mêmes comme plus tout à fait humains. Ce qui est censé expliquer que tout le monde, au xxive siècle, ne se précipite pas pour devenir comme eux, ou au moins pour en faire profiter ses enfants. Autre règle incontournable : l'Histoire, celle qui est écrite, ne peut être modifiée. Mais cela laisse une marge de manœuvre suffisante pour agir en douce, dans les zones d'ombre.

Ce groupe, qui se nomme collectivement Dr. Zeus, a donc fondé la Compagnie ("the Company", traduit par "la Société" dans la VF, ce qui ne me plaît pas trop). Celle-ci donne essentiellement dans le commerce d'objets, d'animaux et de plantes rares. Pour ce faire, et compte tenu des impératifs mentionnés plus haut, elle a trouvé une solution simple. Elle a fait un investissement initial en envoyant des agents vers les temps préhistoriques pour transformer quelques enfants soigneusement choisis en immortels convenablement éduqués et endoctrinés, puis les a laissés vivre au rythme normal. Au fil des ans, ceux-ci récupèrent et cachent des objets intéressants (œuvres d'art, animaux et plantes en voie de disparition ou de destruction, etc.) dans des endroits bien à l'abri — où ils pourront être, comme par un heureux hasard, retrouvés des siècles plus tard par ceux qui sont au parfum —, et au passage ils recrutent d'autres enfants dont la disparition passera inaperçue pour étoffer leurs rangs.

Je vois déjà les amateurs de la rigueur scientifique d'un Greg Egan s'arracher les cheveux, ou détourner pudiquement les yeux en pensant que je suis devenue sénile. Ce n'est certes en rien de la hard SF, mais il n'y a pas que ça dans la vie. Cette mise en place un peu hardie va permettre ensuite de raconter une histoire que j'ai trouvée fort agréable et divertissante.

Nous sommes au xvie siècle en Espagne. L'Inquisition. Une enfant de trois ou quatre ans est sur le point d'y passer, aux mains des hommes de dieux. Heureusement, l'un d'entre eux est en fait un immortel dénommé Joseph qui reconnaît dans son attitude farouche la graine d'une recrue de qualité. Notre héroïne, Mendoza, est donc prise en main par les agents de la Compagnie dans un centre situé en Australie où, à cette date, il n'y a pas grand monde. Une fois sa transformation et son éducation terminée — elle a eu une formation de botaniste —, elle est envoyée pour sa première mission en Angleterre, avec quelques autres agents, dont Joseph, qui se font passer pour des Espagnols. L'époque, comme le savent ceux qui ont suivi pendant les cours d'Histoire, est fort troublée. Tantôt (sous Henry VIII), il est très mal vu d'être catholique, et carrément dangereux d'être espagnol et catholique, puis, quelque temps plus tard, sous Mary Tudor, ce sont les protestants qui sont honnis. Le petit groupe arrive à un moment où les Espagnols sont mieux reçus, c'est-à-dire pas lynchés sur le champ — le nouveau prince consort, c'est Philippe II d'Espagne — et s'installent chez un certain Sir Walter Iden qui est collectionneur de plantes rares. Le but est d'étudier et de récupérer tout ce qui peut être intéressant dans le jardin de ce monsieur, en particulier certaines plantes médicinales aux vertus anticancéreuses.

On suit en parallèle les intrigues de la petite noblesse de province et la vie des immortels qui sont là avec un objectif précis et qui ne doivent surtout pas attirer l'attention bien qu'ils fassent et sachent plein de choses que leurs hôtes n'imaginent même pas. Ce qui n'empêche pas Mendoza — elle a 17 ou 18 ans — de tomber amoureuse d'un hérétique protestant malgré les conseils avisés de Joseph, qui en a vu d'autres et qui sait, d'expérience, que les aventures sentimentales avec les mortels, ça ne peut que mal se terminer. Le jeune homme, Nicolas, est très — trop — intelligent, très observateur et comprend que des choses se cachent sous les apparences. Comme prévu par Joseph, ça se passe mal…

L'histoire est racontée à la première personne par Mendoza. Les personnages sont vivants, émouvants, drôles. Tout le monde parle dans un anglais vieilli, ce qui ajoute à l'ambiance mais, entre eux, les agents de la Compagnie causent comme les gens du futur. Leur point de vue permet à l'auteur (qui a par ailleurs enseigné l'anglais élisabéthain comme seconde langue !) de porter un regard intéressant — souvent critique et parfois franchement satirique, mais aussi chaleureux — sur la vie, la politique, les comportements… comme c'est l'usage dans la bonne SF.

Kage Baker est manifestement une conteuse hors pair. Je ne me suis pas ennuyée une seconde. Elle a même réussi à me donner envie d'aller lire quelques articles sur Wikipedia pour me remettre en tête les événements historiques de l'époque car j'avais complètement oublié le peu que j'avais appris à l'école sur cette période. À la fin du roman, on laisse les mortels et l'Angleterre dans les affres de cette époque fort peu sympathique. Les agents de la Compagnie s'en sortent plus ou moins bien — Mendoza plutôt plus mal que les autres, du moins psychologiquement — mais tous sont prêts pour de nouvelles missions en d'autres points de la Terre. Forcément, ils ont été conçus pour ça.

La suite dans Sky Coyote

Ellen Herzfeld → mercredi 25 juillet 2007, 21:17, catégorie Lectures

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