Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Hannu Rajaniemi : le Voleur quantique

(the Quantum thief, 2010)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 2 avril 2013

par ailleurs :

« Si la Science-Fiction ne vient pas à moi, j'irai-t-à elle. » m'écrié-je, tel un nouveau Lagardère, devant le sinistre spectacle des rayons de SF déserts dans les librairies, la sirupeuse lenteur des parutions dans les collections qui lui sont ou qui lui ont été légitimement dédiées.

Bien sûr, j'aurais pu parler des Enfants du ciel de Vernor Vinge, mais après un Feu sur l'abîme, dont l'indéniable mais pesante qualité m'est restée sur l'estomac, j'ai craint de risquer une indigestion de Dards.

Ou m'exprimer à propos du Voleur quantique, publié tout récemment. De Hannu Rajaniemi, mystérieux écrivain finlandais qui, sur les traces de son maître Maurice Leblanc — auquel il rend un hommage appuyé —, crée un Arsène Lupin du futur, Jean le Flambeur, criminel posthumain, escroc et manipulateur, spécialiste du vol de cerveau numérisé, enfermé dans une incompréhensible prison.

Nul doute que ce roman s'affirme comme une performance ébouriffante, puisque Charles Stross en est convaincu. À mon grand regret, j'ai dû abandonner le Voleur quantique à la quatre-vingt-seizième page. Alors que j'ai triomphé des expériences science-fictives les plus fuligineuses, de Van Vogt à Peter Watts, en passant par ENtreFER d'Iain Banks, etc.

Est-ce l'effet d'une traduction plus ou moins réussie à cause de la complexité du texte ?(1) Je crains plutôt qu'il s'agisse d'un manque d'empathie avec l'auteur, dont l'ouvrage s'éloigne fort de l'impertinente légèreté de Leblanc. Ce qui neutralise le précipité chimique indispensable à l'infusion du texte dans ma théière cérébrale.

Voilà qui ne devrait pas fatalement vous décourager, car ce livre développe un foisonnement d'idées innovantes.


  1. Des amis m'ont dit que, dans sa version originale, ils ont profité jusqu'à la fin d'un redoutable plaisir.

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Jean-Pierre Ohl : Redrum

roman de Science-Fiction, 2012

Philippe Curval, billet du 2 avril 2013

par ailleurs :
Meurtre à l'envers

À la suite de ces frustrations, j'ai fait appel à Martinique Domel, bibliographe subtil qui détecte tout ce qui paraît d'intéressant, pour lui demander si, parmi ses lectures récentes, il n'avait pas découvert quelques romans publiés sous le label littérature générale, où se dissimuleraient des ouvrages de Science-Fiction.

Par exemple, Redrum de Jean-Pierre Ohl, pour la bonne raison qu'il est proposé par l'Arbre vengeur, dont le nom traduit bien ma réaction. Sans compter que dans le catalogue de cette maison d'édition, on trouve la réimpression de chefs-d'œuvre de la SF française anté-historique, tels la Chute dans le néant de Marc Wersinger et l'Œil du Purgatoire de Jacques Spitz.

Redrum doit se lire lentement, car l'auteur, peu pressé de nous dévoiler les clés de son récit anagrammatique, nous les délivre avec une réticence savante dont il serait dommage de ne pas profiter.

Spécialiste de Stanley Kubrick, Stephen Gray se rend sur Scarba, île au large de l'Écosse, pour un colloque entre les derniers historiens et critiques passionnés de vieux cinéma en 2D. Cette invitation est-elle innocente ? se demande Gray au souvenir de ses ancêtres, pêcheurs sauvages, illettrés qui y vivaient dans une masure immonde.

Ainsi les décrivait son père décédé, ancien assistant de l'organisateur du séminaire, Onésimos Némos, maître des lieux, avec lequel il contribua à mettre au point Backup™, plus communément appelée la Sauvegarde, recréation informatique aux effets sensoriels qui permet de rencontrer physiquement ses chers disparus, de dialoguer avec eux. Succès mondial mais controversé au nom de principes idéologiques ou religieux, extase poétique selon les uns, rêve ou hypnose selon les autres.

Afin de nous troubler plus encore, Gray est accueilli dans l'île par une exquise créature qui ressemble trait pour trait à Gene Tierney, star qu'il situe au panthéon de ses obsessions érotiques. Est-elle vraie, est-elle artificielle ? comme le lui suggère Lazlo Télek, amateur de séries B inconnues, gloseur cynique et pittoresque, « trop paresseux pour réussir et trop intelligent pour échouer ».

Peu à peu, Gray croise les autres participants : Ruth (sa femme dont il vient de divorcer), Morel,(1) puis, au terme de péripéties diverses, rencontre enfin Némos, qui le soumet à une épreuve décisive, un face-à-face avec son père défunt “restauré”. À partir de ce choc, suivi d'un hallucinant panoramique virtuel à travers l'œuvre de Kubrick, Redrum va nous conduire de surprise en surprise vers un dénouement original sinon imprévisible.

Tandis que sur le vieux monde occidental plane la menace guerrière de Trinh, le tyran asiatique.

Mais, au-delà de la singularité de son scénario baroque, ce qui séduit chez Jean-Pierre Ohl se niche dans une écriture précise, des dialogues brillants qui soulignent maints détails insolites et réflexions paradoxales. Par exemple à propos de la différence entre irréalité et immatérialité, sur le formalisme de l'univers, sur la mort considérée comme un accomplissement de ce que nous sommes, sur les rapports entre le “tsimtsoum et la Torah”.(2)

Ou encore dans cet horrifique épisode — je parle en fumeur de havane — où Némos oblige Lazlo à déposer le cigare qui l'incommode dans une excroissance sortie du mur où il se volatilise.« C'est la première machine à fabriquer du néant. » déclare fièrement Némos. — « Très instructif, » répond Lazlo, « mais à quoi cela peut-il servir ? — Mais à rien, justement ! »


  1. Probable allusion au roman d'Adolfo Bioy Casares, l'Invention de Morel, dont l'influence se fait sentir chez Ohl.
  2. Là, c'est à vous de décider si vous achetez ce livre ou non pour savoir de quoi il s'agit.

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Albert Espinosa : Tout ce que nous aurions pu être toi et moi si nous n'étions pas toi et moi

(Todo lo que podríamos haber sido tú y yo si no fuéramos tú y yo, 2010)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 2 avril 2013

par ailleurs :

Fort intéressé par cette première expérience “hors les murs”, je me suis attaqué au roman d'Albert Espinosa Todo lo que podríamos haber sido tú y yo si no fuéramos tú y yo, traduit par Christilla Vasserot sous le titre de Tout ce que nous aurions pu être toi et moi si nous n'étions pas toi et moi.

Dès l'ouverture, je suis conquis. Subtilement, Espinosa instaure un futur où certains Madrilènes prennent un quatrième repas dans la journée, le rem. Pourquoi ? Parce qu'ils se sont injecté un médicament qui leur permet de ne plus jamais dormir.

Marcos, personnage central de ce roman écrit au subjectif, hésite entre l'absence de rêve et l'absence de sommeil. Car il est passionnément attaché à son oreiller, surtout amoureux de sa mère, dont il fut le compagnon depuis l'enfance au cours de ses tournées. À l'instant où cette danseuse de légende vient de mourir, sa décision est prise. Deux dealers lui vendent les seringues.

Coup de téléphone. Appel d'urgence de la police : « Venez, nous avons besoin de vous. ». Explication, Marcos possède un don particulier. Sur un simple effort de volonté, il parvient à percer la personnalité de n'importe quel humain, à travers ses souvenirs les plus intimes. Cette fois, l'enjeu est de taille. Car il ne s'agit pas d'un délinquant mais d'un extraterrestre, qui ressemble à Alain Delon dans Plein soleil.

Je devine que vous frétillez d'impatience, prêts à vous connecter sur votre site d'achat par internet, ou mieux, à vous rendre à la librairie la plus proche.

Malheureusement, ce résumé — où je ne dévoile rien puisqu'il figure sous une autre forme en quatrième page de couverture — n'est que le squelette d'un roman de Science-Fiction. En ce qui concerne la chair, Espinosa emprunte “la voie du rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme” pour nous parler de l'amour, du sexe, des rapports ambigus entre mères et fils, du rôle du rêve. Certes, porté par une écriture talentueuse qui explore avec mélancolie le sens de la fatalité. Ce qui me fait regretter l'absence d'un traitement spéculatif du récit. Plutôt que cette dérive sentimentale, où l'auteur dévoile son obsession vis-à-vis de l'inceste, en nous offrant un dénouement qui ressemble à un conte pour adultes.

Malgré cela, si vous aimez la littérature générale teintée de Science-Fiction, n'hésitez pas, c'est un roman d'une lecture agréable.

Petite anecdote pour finir, les autorités d'une province suédoise viennent de mettre en chantier un sujet d'importance : promulguer une loi pour contraindre les individus mâles à uriner assis. Car c'est une humiliation pour les personnes du sexe opposé de voir les hommes pisser debout.

Cela me rappelle un épisode fameux de Mandrake où le prince Paulo avait pris une ordonnance pour qu'on peigne les feuilles des arbres en rouge, parce qu'il détestait le vert.

Philippe Curval → mardi 2 avril 2013, 13:00, catégorie Chroniques

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