Chroniques de Philippe Curval

Philip K. Dick : les Délires divergents

nouvelles de Science-Fiction réunies par Alain Dorémieux, 1979

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :
Deux manuels de SF moderne

L'aventure littéraire de Philip K. Dick est, en un sens, exemplaire. Auteur célèbre des années soixante aux États-Unis, il est aujourd'hui négligé par son ancien public des fans, qui considèrent son œuvre avec la condescendance des gardiens de la foi pour ceux qui ont trahi. À mesure que son œuvre s'est personnalisée, s'est approfondie, s'éloignant des canons de la Science-Fiction classique, Philip K. Dick a perdu de son audience. C'est qu'aux USA, les amateurs de SF sont les plus conservateurs du monde.

Par contre, en France, les premiers directeurs littéraires qui l'ont introduit ont fait une œuvre durable de missionnaire. En 1979, après vingt années d'efforts, Philip K. Dick est unanimement considéré dans notre pays comme l'écrivain le plus novateur, l'un des créateurs de la Science-Fiction moderne. C'est pour montrer par l'exemple comment ces phénomènes paradoxaux et inverses se sont produits dans ces deux pays, pour tenter de les expliquer, de les analyser qu'Alain Dorémieux — qui fut l'un de ces missionnaires — vient de publier les Délires divergents de Philip K. Dick. En dix nouvelles, parues entre 1952 et 1974, et une introduction, la démarche de l'auteur se précise. Puisant à l'origine aux thèmes classiques pour les renouveler, il édifie peu à peu ses mythes personnels. C'est enfin l'apparition d'œuvres se référant à une réalité parallèle, puis la mise en question progressive de l'illusion du réel.

Pour tous ceux qui cherchent à savoir ce qu'a été la SF d'hier et ce qu'elle est devenue par la grâce de Dick, ce livre sera un manuel précieux. Pour les autres, l'occasion de découvrir des textes peu connus de l'auteur de Substance mort [ 1 ] [ 2 ].

Philippe Curval, prévu pour le Monde au deuxième trimestre 1979 mais apparemment non publié

Philip K. Dick : le Livre d'or

nouvelles de Science-Fiction réunies par Marcel Thaon, 1979

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :

C'est à un travail d'un tout autre genre que s'est livré Marcel Thaon dans son Livre d'or de Philip K. Dick. Puisant aux sources biographiques de l'auteur, il s'est livré à une enquête minutieuse, s'attachant à traquer les interférences entre l'existence de Philip K. Dick et la substance de son œuvre. On sait ce que cette méthode peut avoir de superficiel surtout quand elle s'accompagne d'une analyse para-freudienne. Ainsi la préface en forme de monument iconographique, loin de nous initier à la lecture de Dick, nous en dissimule les arcanes sous les lourdes tentures de la psychanalyse.

Il ne s'agit cependant pas d'accabler Marcel Thaon, dont le travail d'information reste exemplaire, mais de souligner ce que peut avoir d'artificiel et de destructeur une lecture freudienne appliquée à la lettre et non à l'esprit. Car le Livre d'or de Philip K. Dick, par le nombre de nouvelles inédites qu'il nous fait découvrir dans une excellente traduction, reste un ouvrage indispensable. Abordant la thématique dickienne à travers quatre grands chapitres sans tenir compte de l'ordre chronologique, le choix de l'anthologiste fait apparaître les grandes obsessions de l'auteur : son goût du simulacre, son obsession du quotidien qui se dégrade et du rôle régénérateur de l'illusion.

Dans son univers sans innocence où le péché originel a pris l'apparence d'une découverte technologique, les êtres se meuvent à l'intérieur de leurs propres cauchemars, quand ils ne sont pas englués dans celui d'un autre. Les notions du bien et du mal s'effilochent dès que le réel est travesti. Alors, l'Homme débarrassé des concepts manichéens cherche désespérément à se raccrocher à de nouvelles certitudes qui se défont à mesure qu'il les appréhende.

Les douze textes de Philip K. Dick tentent de saisir les formes en expansion de notre inconscient collectif perturbé sous la pression d'un futur qui se développe à la manière d'un gros champignon nucléaire. Ils révèlent aussi avec acuité comment se construit son œuvre romanesque et comment, en se télescopant, les nouvelles constituent peu à peu la trame narrative de l'univers dickien.

Philippe Curval, prévu pour le Monde au deuxième trimestre 1979 mais apparemment non publié