Chroniques de Philippe Curval

Robert J. Sawyer : Dernière chance pour l'Humanité

(Factoring Humanity, 1998)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :
Faux souvenirs

Faux souvenirs, quatrième dimension, ordinateur quantique et message d'extraterrestres, tel est le dernier cocktail mitonné par Robert Sawyer, canadien de Toronto dont les progrès techniques en écriture sont appréciables. J'avais suggéré que ce surdoué avait dépassé le stade du bâton dans Expérience terminale ; avec Dernière chance pour l'Humanité, il s'est pixellisé. On sent chez cet écrivain le désir d'identifier sa prose à celle que produirait un logiciel. Une excellente banque de données, un système de construction narratif perfectionné, un style revu par un correcteur grammatical fiable, un D.A.O. (dialogues assistés par ordinateur) de la dernière génération. Bref, les atouts de la perfection. Or, malgré ce soutien logistique avancé, Sawyer est constamment soumis au travail de son inconscient qui rature, corrige, dévie, ajoute, enjolive les productions de son traitement de texte. De ce duel interne naît un récit tordu où l'on passe de la très haute fiction spéculative au “docu-drama” sur le viol incestueux des femmes.

Néanmoins, il est difficile de rester insensible à cette tentative studieuse de mêler les subtilités du roman psychologique à la Science-Fiction, de métamorphoser le feuilleton de SF en littérature. Car Sawyer ne manque pas d'ambitions en brassant diverses thématiques pour explorer des voies originales.

« Aucune réponse ne doit être envoyée à un signe d'intelligence extraterrestre tant que les Nations Unies n'auront pas statué sur la question. »

Que faire alors des 2841 transmissions que la Terre a reçues d'Alpha du Centaure, sans compter celles d'Epsilon Eridani ? Des scientifiques s'emploient à les traduire afin de les comprendre et de produire une réponse appropriée. En particulier Heather Davis, professeur au département de psychologie de l'Université, qui tente d'assimiler le sens des messages envoyés par le “trou d'eau”, situé entre les fréquences d'émission de l'hydrogène et de l'hydroxyle. Kyle Graves, son mari, est sur le point de fabriquer le fameux ordinateur quantique dont la puissance de calcul permettra de craquer tous les codes.

Voilà que leurs travaux sont interrompus par un bouleversant drame familial. Rebecca accuse soudain son père de l'avoir violée durant son enfance et d'avoir conduit au suicide Mary, sa sœur, pour la même raison.

À partir de cette double intrigue dont les fils sont subtilement mêlés, Sawyer va construire trois cents pages d'un passionnant récit aux nombreux points d'orgue : dialogues avec l'ordinateur Cheetah, sur les natures comparées de l'Homme et de l'intelligence artificielle ; enquête sur le syndrome du faux souvenir ; regards sur la quatrième dimension et le traitement quantique de l'information ; métaphysique de Star trek ; découverte de la pensée centaurienne à travers l'hypercube de la crucifixion de Salvador Dalí.

Puis, soudain rattrapé par la pensée jungienne, Sawyer s'embarque vers une utopie basée sur l'inconscient collectif dont je préfère oublier les accents métempsychiques. Mais comment lui en faire grief ? La Science-Fiction a d'abord le mérite d'être une expérience.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 408, avril 2002

Joëlle Wintrebert : Pollen

roman de Science-Fiction, 2002

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Voici l'exemple d'un roman préraphaélite, tel qu'en nourrit parfois la Science-Fiction. Sur Pollen, planète où triomphe la génétique, la laideur n'existe pas. Jade et les cent mères y ont installé une matriarchie depuis plus d'un siècle. Dans les arbres nids couvent des triades composées d'un mâle et de deux femelles en relation sexuelle et empathique. Les jeunes filles ont le masque hautain des héroïnes de Burne-Jones ; au crépuscule, les ramures mauves se foncent de rouge ; les palais ont des murs de béryl. Confinés sur un satellite, de mâles guerriers neutralisent toute tentative d'invasion. Mais derrière ce monde parfait couvent d'autres idéaux révolutionnaires. Politique de la sensualité et sensualité de la politique tracent les courants forts de ce texte tout en nuances et en ondulations, bel hommage au féminisme modéré de l'utopie de Christine Renard, "Au creux des Arches".

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 408, avril 2002

Joe Haldeman & Marvano : une Autre guerre (Libre à jamais – 1)

bande dessinée de Science-Fiction, 2002

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Les rapports incestueux de la BD et de la SF sont intrinsèques à leur naissance. Il serait fastidieux d'en citer les exemples célèbres, de Brick Bradford à Arzach. C'est ce qui a inspiré la nouvelle collection "Fictions", chez Dargaud, qui perpétue la tradition. Parmi les premières parutions, Libre à jamais m'en semble la plus attachante. Sur le thème de la Guerre éternelle, qui a fait la réputation de Joe Haldeman, le trait précis de Marvano, ses compositions en déséquilibre, la vigueur étudiée du scénario donnent à voir en bédécolor les vertiges du space opera.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 408, avril 2002

John Kessel : l'Amour au temps des dinosaures

(Corrupting Dr. Nice, 1997)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Depuis la "Saison de grand cru" de Catherine L. Moore, le tourisme temporel fait les beaux jours de la SF. John Kessel relève le gant dans cet Amour au temps des dinosaures où, sous prétexte de détruire la pertinence de l'histoire, il s'exerce à l'humour “ichronoclaste”.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 408, avril 2002