Chroniques de Philippe Curval

Ayerdhal : Consciences virtuelles

roman de Science-Fiction, 1998

chronique par Philippe Curval, 1998

par ailleurs :
Âme ou conscience virtuelle ?

Après le Poulpe, dont les pseudopodes s'étendent avec succès dans le domaine du Polar, voici Macno, une toute nouvelle série intello-popu qui devrait séduire les amateurs de SF si elle maintient son cap. Car au lieu de privilégier l'intrigue policière comme il est souvent d'usage, Macno adopte sans état d'âme la fiction spéculative. Un pari qui vaut la peine d'être risqué.

Tout ce qui vieillit devient con, semble estimer Ayerdhal, qui inaugure la série. Rien n'échappe à la malédiction entropique, pas plus les terroristes, les révolutionnaires, que les rois des affaires et les dirigeants politiques. La cyberurgie, qui est censée réparer des ans l'irréparable outrage en interfaçant l'organique avec l'électronique, ne fait que renforcer le pouvoir de cons puissants et vieillissants. Pour lutter contre le pouvoir népotique de l'ultra-libéralisme, une seule solution : doter l'Humanité d'une conscience virtuelle. L'avenir de l'Homme, c'est la puce ! À condition qu'elle soit infinitésimale et logée dans le trou noir informatique d'un ordinateur quantique. Ce qui n'est pas à la portée du premier génie venu, même en 68. 2068, cela s'entend.

Heureusement, le Gestalt, une cellule de chercheurs reconvertis néobaderiens, va s'employer à noyauter Transcam, la toile contrôlée par l'ONU qui centralise tous les réseaux. Ces scientifiques savent qu'en sous-main, ce sont les membres du M.A.C., consortium interplanétaire, qui l'emploient pour développer leurs profits en expansion illimitée. Mais Transcam est une ville spatiale qu'il est difficile d'infiltrer.

À partir de ce schéma linéaire, Consciences virtuelles s'appuie sur un réel suspense plein d'idées et de sous-entendus. Grâce à son talent de l'ellipse, Ayerdhal sait évoquer une galerie de personnages vivaces, mener son intrigue sans opacité, explorer quelques théories scientifiques avec alacrité. Bref, il gagne son combat par K.O. technique dans la catégorie des poids plume. À l'opposé de lourds pensums infligés par quelques auteurs anglo-saxons armés de traitements de texte sophistiqués, il se prononce pour “Mac no”.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 363, mars 1998

Robert J. Sawyer : Expérience terminale

(the Terminal experiment, 1995)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1998

par ailleurs :

Robert J. Sawyer, bien que canadien, est quasiment inconnu du public français. Son septième roman, Expérience terminale, qui a reçu le prix Nebula en 1996, incite à penser qu'il mérite une meilleure audience. D'emblée, le sujet suborne : Peter Hobson, au cours d'un prélèvement d'organe, s'interroge sur la vérité scientifique de la mort. Combien de cornées, de poumons, de reins ont été arrachés à des sujets supposés défunts ? Son prototype évolué d'électroencéphalographe lui permet d'affiner l'image d'un cerveau au moment du décès. Oh ! surprise, il découvre qu'une pelote lumineuse s'évade du crâne à l'instant fatal. Serait-ce cette fameuse âme que des médecins suédois ont détectée dans les années 1950 à force d'expériences sur les macchabées et qui pèse en moyenne 380 grammes ?

Athée par conviction, il s'allie avec son ami Sarkar, musulman convaincu, pour en avoir le cœur net. Ce dernier est capable de scannériser trois modèles informatiques du cerveau de Peter. Le premier simulera la vie après la mort, le second, l'immortalité physique, le troisième sa copie conforme. En laissant évoluer ces clones, peut-être sera-t-il possible de vérifier si le dualisme cartésien est bien fondé, ou si l'esprit et le corps ne sont qu'une même personne.

Or voilà que Cathy, la femme de Hobson, avoue qu'elle l'a trompé avec Hans, dont on retrouve le cadavre châtré. Qui a tué le bellâtre ? L'internet est-il en cause ? La police a-t-elle les moyens d'arrêter un assassin informatique ? Et que prétend le Pape ?

Dommage, le style donne à penser que l'auteur vient de dépasser le stade du bâton pour aborder déjà l'écriture dans sa première année de maternelle parce qu'il est surdoué, sinon Expérience terminale aurait mieux valu qu'un « cyberthriller à vous couper le souffle ». Car, sur ce thème riche en connotations ambiguës, Sawyer ne néglige pas de brouiller les pistes, tant sur le plan religieux que scientifique, s'essayant à l'humour et au suspense spiritualiste sans opter pour un point de vue dogmatique. D'où une errance narrative dans la découverte du réel pedigree de l'étincelle de vie, des vrais motifs et de l'identité de l'assassin, riche en développements insolites et aperçus originaux. L'épilogue imposé par la bigoterie ambiante sent le soufre du paradis.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 363, mars 1998