Chroniques de Philippe Curval

Jacques Bergier : Admirations

essai, 1970

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :

Admirations, de Jacques Bergier, vient de reparaître après trente ans d'exil. J'admire beaucoup plus Bergier que ses admirations. Si son activité a beaucoup contribué à la naissance de la SF en France, curieusement, plus qu'atteints par un terrible coup de vieux, une grande part des auteurs dont il parle me semblent dénués du sens de la modernité que j'apprécie en Fantastique comme en Science-Fiction. Et je reconnais mal dans ce recueil la verve éblouissante, le sens du paradoxe poussé jusqu'à l'alchimie, la mythomanie créatrice, l'humour ravageur qui faisaient de ses conversations un perpétuel feu d'artifice d'idées. Néanmoins, la notion d'écrivains magiques qu'il développe reste captivante. Hélas, la magie est une affaire si intime qu'il est difficile de la faire partager.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 398, mai 2001

J. Gregory Keyes : les Démons du Roi-Soleil (l'Âge de déraison – 1)

(Age of unreason — 1: Newton's cannon, 1998)

roman de Fantasy

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :
Alchimie spéculative

Prenons le cas de J. Gregory Keyes, dont on vient de publier en français les Démons du Roi-Soleil. Le style de Keyes, si brillant soit-il dans les dialogues, n'a guère d'intérêt sur le plan formel. La construction laisse à désirer. L'action s'étire façon chewing gum sur des pages entières. Car il use du principe de rétention qui consiste à éluder la révélation chaque fois qu'on croit apprendre quelque chose d'essentiel.

Et pourtant, ce roman offre bien des attraits grâce à la part de magie qui l'habite. Bergier l'aurait probablement apprécié à cause de son côté Agents secrets contre armes secrètes. On peut parler à son propos d'alchimie spéculative. Les Démons du Roi-Soleil évoquent un dessin animé à la Tex Avery, repensé par Robert-Houdin. Il phosphore au mercure philosophal.

Louis XIV vient d'avoir soixante-douze ans ; grâce à l'élixir persan, il survit à tout le monde. La guerre sévit entre l'Angleterre et la France. D'un côté comme de l'autre, les récentes découvertes de l'alchimie scientifique font envisager une victoire prochaine. Le fervefactum qui fait bouillir le sang pâtit malheureusement d'une portée très courte. Les kraftpistoles sont des armes légères. Il faut trouver plus audacieux, plus destructeur pour remporter la victoire. D'un côté, en Angleterre où il se rend, Benjamin Franklin s'appuie sur les travaux d'Isaac Newton pour transformer l'éthérographe en rayon meurtrier. En France, Adrienne Mornay de Montchevreuil, fraîche émoulue de l'École de Saint-Cyr, devient membre d'une société secrète d'obédience féminine. Si intelligente qu'elle doit cacher son jeu en ce siècle de mâles dominants, elle séduit le roi sans le désirer et se voit confier un travail d'assistante de recherches. L'enjeu est simple : gagner. Mais les procédés sont mirobolants. Tout se joue dans l'affinité entre les métaux et les planètes, voire les comètes. Les descriptions de Keyes à propos de la technologie du xviiie siècle réinventée sont irrésistibles. Je n'hésite pas à citer Newton s'exclamant :

« C'est l'air qui se décompose. La Lux, libérée par le mercure absolu. L'éther même est mis à nu. Nous touchons là à l'essence de la matière. »

Des personnages secondaires comme Voltaire, un certain d'Artagnan, Halley, etc., confèrent au suspense des rebondissements innombrables. Le plus plaisant, c'est qu'en usant de l'alchimie comme base de sa spéculation, Keyes écrit de la vraie Science-Fiction. Ce qui est magique.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 398, mai 2001

Richard Matheson : la Touche finale

(Collected stories, 1989)

tome V de l'intégrale des nouvelles, 2001

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :

Magique aussi le dernier volume de l'intégrale des nouvelles de Richard Matheson [ 1 ] [ 2 ], la Touche finale, où l'auteur dévoile dans une postface les relations intimes entre sa vie familiale et sa production de fantasmagorie freudienne :

« Évoluant dans le vase clos de ma petite famille, et considérant perpétuellement le dehors comme menaçant, j'ai trouvé mon refuge à moi dans l'écriture. Au lieu d'ingurgiter du vin, j'ai écrit des histoires ; et c'est de la fiction que je suis devenu dépendant. »

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 398, mai 2001

Jacques Sternberg : Œuvres choisies

romans, 2001

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :

Jacques Sternberg, qui n'a cessé d'exprimer sa répugnance envers l'espèce humaine et la production littéraire en général — qu'il juge innommable à 99,99 % —, vient de découvrir un écrivain génial et attachant : lui-même. Dans la préface de ses Œuvres choisies, il se livre à un dithyrambe sans concession sur sa vie et ses romans. Il n'a pas tout à fait tort d'ailleurs, car Fin de siècle et un Jour ouvrable sont d'excellents textes.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 398, mai 2001

Bernard Wolfe : Limbo

(Limbo, 1952)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :

Enfin, n'oubliez pas d'acheter, même si vous l'avez déjà lu, l'un des chefs-d'œuvre incontestables de la SF, Limbo de Bernard Wolfe. De la mutilation considérée comme un art sociologique. Terrifiante fable d'humour noir.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 398, mai 2001