KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Cerné de près par les enterrements

éditorial à KWS 86, mars 2020

par Pascal J. Thomas

La Camarde ne pardonne jamais, et s'invite même chez les camarades. Prenez le rocker émérite, moulin à paroles toujours rythmé et toujours érudit, que je côtoyais dans le bon vaisseau Canal Sud, qui m'a tout appris en matière de radio il y a trente ans de cela, et a fait beaucoup plus dans sa vie heureusement, dont Dig it!, émission brillante et fanzine rock de référence ― son médecin vient de lui annoncer un sort analogue à celui de Lemmy Kilminster, et bien qu'il soit question, cruelle ironie, d'une pincée de radiothérapie, il n'est plus pour nous qu'un vivant en sursis.

Je ne sais pourquoi me prit il y a quelques semaines l'idée saugrenue de passer au crible d'un moteur de recherche bien connu le nom de la première fille que j'avais tenue dans mes bras. Sans doute parce que jamais de la vie on ne l'oubliera, etc. Un accès de remords, ou de nostalgie, vite douché par les résultats de la recherche, dominés par les hommages mortuaires qui lui étaient rendus, en 2010. Cancer. Nous avions bien entendu le même âge ― tant que nous étions en vie. Ce qui peut refroidir le moral ; en lisant les hommages qui lui étaient rendus, je me suis aperçu à quel point elle était appréciée par ses collègues dans sa spécialité, et sans doute à quel point j'étais peu digne d'elle — mais si elle m'entendait, nul doute qu'elle me rabrouerait pour ce prurit de culpabilité chrétienne.

Coïncidence : deux semaines après, la presse, que je lis avec un zèle imbécile, en y ajoutant une prédilection héritée de feu mon père pour la rubrique nécrologique, m'apprend le décès subit du mari de ladite ex. Pas plus vieux que moi, non plus. Est-il encore debout le sapin de mon cercueil ?(1) Je ne jouais pas dans la même division : les deux colonnes du Monde sont le reflet de la carrière diversifiée et impressionnante de ce docteur en philosophie devenu haut fonctionnaire de la culture, conseiller présidentiel, cadre supérieur, et même un temps rédacteur en chef d'un magazine culturel à la mode.(2)

Où l'on reparle de SF

« Cesse de nous… ennuyer ! » me direz-vous, à moins que vous n'usiez d'un terme moins châtié. Tout cela n'a rien à voir avec KWS, et ne se réfère qu'aux obsessions narcissiques de son rédacteur-en-chef, qui trempe sa plume dans l'encre bleue de la nostalgie, et chaque trimestre remet à jour son testament. « Je suis seul maître à bord. » répondrai-je. Mais pour vous plaire, si on peut s'exprimer ainsi, je mentionnerai ici le nom de Paul Alkon, disparu le 13 janvier 2020 à l'âge de 84 ans. Paul Alkon était un spécialiste reconnu de la littérature anglaise du xviiie siècle, professeur à l'University of Southern California (l'université privée généraliste majeure de Los Angeles). Mais aussi un amateur de Science-Fiction, qui a écrit au moins deux ouvrages importants sur le sujet de la proto-SF, Origins of futuristic fiction (1987) et Science fiction before 1900: imagination discovers technology (1994). Dans le premier en particulier, il s'y montre fin connaisseur du domaine francophone. Il avait aussi étudié Daniel Defoe et Winston Churchill. Et beaucoup fait de voile. Et construit un clavecin de ses mains. C'était un homme aimable et généreux, que j'ai un peu fréquenté quand je vivais à Los Angeles, et après, pas assez. Lisez ou relisez ses livres et ses articles.

Il va falloir que je me change les idées. Un de mes fantasmes était de faire venir Paul Alkon, fin penseur du traitement du temps dans la fiction, aux rencontres Sciences & Fiction de Peyresq. Trop tard, et sans doute impossible quoiqu'il en soit, faute de suffisante francophonie de sa part. Ces échanges animés en ― relativement ― petit comité avec des gens sympathiques, érudits, et perspicaces sont toujours pour moi un des meilleurs moments de l'année. Il faut que je me prépare aux prochaines, qui auront pour thème, voyons… Roland C. Wagner. Oh non…


  1. Le titre, et la plupart des formulations éventuellement élégantes de cet éditorial, sont volées à Georges Brassens, "Supplique pour être enterré sur la plage de Sète" ― et à une ou deux autres de ses chansons.
  2. Pas de détails, car je ne veux pas donner de nom ; seul Éric Vial, qui sait, pourrait remonter le labyrinthe car, autant que moi, il a la fibre funéraire, et une certaine familiarité avec l'élitisme républicain.

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