KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

John Scalzi : les Brigades fantômes (le Vieil homme et la guerre – 2)

(the Ghost brigades, 2006)

roman de Science-Fiction

chronique par Pascal J. Thomas, 2019

par ailleurs :

D'accord, tous les lecteurs de KWS connaissent Scalzi depuis dix ans, et je débarque de mon vaisseau après avoir gaspillé quelques millions d'années à des vitesses relativistes du côté de la galaxie d'Andromède. Disons que cet article ira enrichir l'immense base de données de KWS pour les millénaires à venir.

Je m'offre de temps en temps le plaisir pervers de commencer une série par le milieu — chose que je fis souvent pendant mes jeunes années, contraint que j'étais par mes achats effectués au gré des découvertes à bon marché chez la kyrielle de bouquinistes que je visitais. On est déséquilibré par les incessantes allusions aux événements relatés dans les volumes précédents, mais on absorbe de façon accélérée, parce que l'auteur répugne à se répéter longuement, les éléments essentiels de l'univers de la série. Ici les explications synthétiques tombent pages 51 à 53 (de mon paperback Tor de mai 2007).

Dans la série commencée par Scalzi avec le Vieil homme et la guerre, donc, l'Humanité, qui a colonisé un certain nombre de systèmes stellaires, s'est dotée d'une armée, la Colonial Defense Force, qui recrute ses soldats parmi les vieux — ils risquent déjà la mort pour cause naturelle ; on leur offre un corps rajeuni en échange du risque de mort au combat. Mais il y a aussi les Forces spéciales, au sein desquelles les soldats sont fabriqués plutôt que recrutés, à partir de l'ADN de volontaires pour la CDF décédés avant d'avoir pu être enrôlés, et de personnalités artificielles, renforcées par leur BrainPal.

On apprend au début du roman que trois puissantes races extraterrestres se sont liguées contre la Terre grâce à l'aide d'un traître à l'Humanité, Charles Boutin. On crée un soldat des forces spéciales, Jared Dirac, à partir d'un double de la personnalité de Boutin, récupéré par miracle. Le but : découvrir de l'intérieur les motivations et, peut-être, les intentions du traître suprême.

Jared est un protagoniste intéressant à plus d'un point, parce que puissamment paradoxal : férocement fidèle à l'Humanité — et surtout à la CDF —, il porte en lui le germe de la trahison. Et sa mission est en partie de le faire éclore, pour l'étudier ! L'enjeu majeur du livre est — ou devrait être — l'émergence de ce dédoublement de personnalité et de loyauté. Je dis “devrait être”, parce que Scalzi (ou ses lecteurs attendus ?) ne peut résister à l'attrait d'une bonne scène de combat spatial — il rend d'ailleurs hommage dans les remerciements aux space operas batailleurs de Scott Westerfeld. On souhaiterait qu'il développe les aperçus qu'il laisse échapper. Par exemple, le procédé de transfert d'esprit et de fabrication de personnalité décrit dans le livre doit s'accommoder du fait que “the consciousness is wholly dependent on the physical structure of the brain […] right down to the genes” (p. 41). De quoi s'interroger longuement sur la dualité entre esprit et matière, et l'émergence de la conscience. Mais de telles contemplations n'ont pas leur place dans ce livre, qui reste rythmé par les scènes de bataille.

D'autres pistes intéressantes s'ouvrent au cours du livre : le potentiel tragique de la vie des soldats des Forces spéciales, qui n'ont pas d'enfance et connaissent souvent une mort violente, et le rôle que tient l'humour pour leur permettre de confirmer leur humanité, aux yeux des autres et à leurs propres yeux ; et la moralité plus que discutable de la politique suivie par l'Union coloniale, qui est menée par son institution militaire. Affleure ici une critique à peine voilée de la politique étrangère américaine, et on sent que ce questionnement, lui aussi rapidement écarté, connaîtra des développements dans la série.

L'objet-roman qu'est les Brigades fantômes reste toutefois attaché au plaisir immédiat, et à des références très américaines. Le cas le plus frappant est donné par les précisions alimentaires, qui renvoient aux États-Unis contemporains au point de compliquer la lecture pour qui n'y a jamais vécu dans son enfance. Des explications (rapides) sont données à ces références aussi caractéristiques, mais je ne peux m'empêcher de croire qu'elles sont surtout là pour accrocher un lectorat qui peut consommer ce roman en négligeant tout ce qu'il comporte d'ambiguïtés. Alors que ce sont ces aspects qui me fascinent, et dont tout laisse à penser que Scalzi les aura développés dans la suite de son œuvre. Dont j'espère vous reparler ici !

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 84, avril 2019

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