KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Éric Pincas : Qui a tué Néandertal ? : enquête sur la disparition la plus fascinante de l'histoire de l'humanité

essai (et roman préhistorique), 2014

chronique par Éric Vial, 2015

par ailleurs :

La Science-Fiction et le roman préhistorique sont cousins. À cause de Rosny aîné, bien entendu, mais aussi tout simplement parce que dans le second aussi, et peut-être davantage encore que fort souvent dans la première, il s'agit bien de conjecture romanesque rationnelle, d'une fiction extrapolant à partir de données scientifiques (mais assez peu technologiques, il faut certes le reconnaître). Et d'une certaine façon, ici, l'auteur, rédacteur-en-chef d'Historia passé pour l'occasion au-delà des franges chronologiques de l'Histoire, retrouve des éléments mis en œuvre par les ancêtres mêmes de la SF, interventions scientifiques explicatives et appel paradoxal à l'irrationnel avec le fil rouge constitué par un chamane sibérien voyageur que des hallucinations méthodiquement provoquées projettent dans le passé — après tout, il me semble que tel autre personnage se retrouva ainsi sur Mars autrefois. Cela pourrait sembler naïf, c'est assez alerte pour fort bien passer. L'essai et la fiction se mêlent, ou plutôt alternent, car après l'ouverture, le premier vient faire (de façon brève et efficace) le point après chacun des chapitres correspondant à la fois à une plongée dans le temps effectuée par le chamane, et assez vite à une des possibilités d'explication de la disparition de l'homme de Neandert(h)al, cousin plus ou moins éloigné et peut-être bien victime de nos ancêtres. On a ainsi une scène de vie quotidienne, chapitre introductif venant après celui non-narratif qui ouvre le volume et amorçant l'idée de rencontre entre représentants de deux branches de l'Humanité, puis une rencontre rapprochée — et conduisant à un métissage dont la génétique retrouve des traces, mais tout de même bien diluées —, puis des massacres proprement génocidaires mais dont on peut difficilement penser qu'ils furent généralisés de Gibraltar au Proche-Orient, puis encore l'effet de maladies, l'une liée à des pratiques de cannibalisme rituel et à des prions (et tout aussi difficilement généralisables), l'autre, plus plausible à grande échelle, à une rencontre avec des populations immunisées, nos ancêtres, enfin la fuite d'un survivant solitaire, confronté soudain aux peintures rupestres que sa propre culture ignore.

La prudence des explications scientifiques, journalistiquement recueillies auprès de spécialistes et faisant état de leurs divergences éventuelles, pourra décevoir : elle n'en est pas moins le prix de l'honnêteté et du sérieux. La dislocation des épisodes racontés dans l'espace et dans le temps interdit la continuité romanesque et, quand bien même ils survivent, fait perdre de vue les personnages alors que l'on pouvait commencer à s'y attacher — mais l'amateur de SF serait mal venu de se plaindre d'une juxtaposition de nouvelles permettant de mettre en résonance des espaces différents et de traverser les millénaires. Peut-être se plaindra-t-on davantage de ne guère pouvoir s'accrocher au chamane, trop souvent simple prétexte, restant paradoxalement peut-être plus étranger au lecteur que les hommes préhistoriques supposés pourtant vus à travers ses yeux et son esprit, et pourrait-on rêver d'un traitement plus approfondi à la fois de sa quête inaboutie et de son naufrage final, ou de son entrée dans l'éternité. Mais c'est tout de même couper les cheveux en quatre et chercher à se priver du plaisir de la lecture, même si la fin de chaque épisode laisse un goût de “trop peu”.

Et surtout, du contact entre humanités différentes au thème de la “race qui nous supplantera”, il y a là bien de quoi rappeler des choses à l'amateur de SF évoqué plus haut. Même s'il s'irrite devant une pincée de surnaturel et de métaphysique, réputés assurer le liant. La science est bien là, la fiction aussi, même si l'on est juste de l'autre côté des limites du genre.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 75, mai 2015

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.