KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Olivier Battistini ; Jean-Dominique Poli ; Pierre Ronzeaud ; Jean-Jacques Vincensini : Dictionnaire des lieux et pays mythiques

ouvrage de référence, 2011

chronique par Éric Vial, 2014

par ailleurs :

On ne trouvera pas que de la Science-Fiction dans un tel ouvrage, certes, mais il y en a comme il y a de la pomme dans l'improbable liquide ingurgité par les Tontons flingueurs (dont la cuisine aurait pu figurer parmi les entrées, n'était un esprit de sérieux compact). Dans le rôle de la betterave, on a de la Fantasy, ce dont on ne se plaindra pas trop. Et entre les deux, du voyage extraordinaire.

En gros, cet article est supposé fonctionner — s'il fonctionne et s'il n'a pas donné une légitime urticaire à notre éminent rédacteurenchef — comme une sorte de catalogue partiel et d'instrument thématique… Comme une contribution de l'auteur à la déforestation, aussi, à vrai dire. Certains y trouveront peut-être leur compte, ou des pistes.

On trouvera donc, par ordre alphabétique et reclassés ici de façon sans doute discutable, d'abord des lieux de contes et légendes, et au premier chef des lieux antiques, qu'ils s'appuient ou non sur une réalité concrète avec Abydos, l'Achéron, l'île d'Achille, Albe-la-Longue, le pays des Amazones, l'île Anaphé, l'Anio, l'île Anthémoessa et ses sirènes, Anticyre où croît l'ellébore, l'Arcadie des Grecs puis de la littérature et en son sein le mont Cyllène, la prairie des Asphodèle qui comme chacun le sait est une région des Enfers, l'Atlantide bien évidemment et icelle peut-être platonicienne ou médiévale, le lac Averne qui est la porte des enfers qu'empruntait Énée. Et ce n'était que la lettre A à titre d'échantillon.

On notera aussi la Colchide des Argonautes, l'Hyperborée (à propos de laquelle sont convoqués Guénon, Pauwels et Bergier), la Porte en plein ciel de Parménide, ou la roche Typhaonienne où naquit le dragon gardien de la toison d'or. Tant pis si l'Histoire naturelle est attribuée à Pline le Jeune et non l'Ancien, et si tel contributeur tient à décrire la Gaule à travers César, et prend de très haut les historiens qui osent la peindre comme bien moins boisée que ça. Le Paradis fournit une transition vers l'époque médiévale, entre le pays de Wakwak des géographes arabes, la Cité de Dieu augustinienne, le pays des Nibelungen, les montagnes Caspiennes où Alexandre aurait laissé enfermés Gog et Magog, nombre de lieux venus des chansons de geste et en particulier du corpus arthurien, comme la Douloureuse garde, la Forêt aventureuse, la Fosse Arthour, le royaume de Logres et Tintagel ; les îles Flottantes, les Ponts en général et la terre du Prêtre Jean. Comme il en est aussi de moins connus, il y a de quoi alimenter l'imaginaire d'auteurs en panne. L'époque moderne est moins représentée en quantité, mais non en qualité, entre la terre des Barbus de légendes russes (sans rapport hélas avec Pierre Dac), l'El Dorado, la ville d'Ignate des Cosaques et, en avançant toujours dans le temps, Kitège pour les vieux-croyants, le pays de Mouravia imaginé en Russie au lendemain de la révolution et de la guerre civile, ou en revenant en arrière le continent perdu de la Lémurie. Et puis un pays devenu plus ou moins imaginaire tant chargé de rêves comme le Monomotapa.

On passera sur quelques dizaines de lieux réels, d'Actium au Pirée, de Babylone à Bagnoles-de-l'Orne et de Delphes au monastère de Port-Royal, sur quelques épisodes historiques dont on se demande ce qu'ils font là (mais les rapports entre l'Afghanistan et l'Allemagne à partir de la Première Guerre mondiale, bien peu connus, passionnants et longuement narrés, valent le détour, et quelques autres épisodes aussi).

S'y ajoutent — mais avez-vous vraiment cru que c'était fini ? — des lieux réels, mythifiés, que l'on hésite parfois à qualifier de lieux même s'ils en furent effectivement comme l'Académie de Platon (l'Académie française semble, elle, tout de même, quelque peu à la limite de ce que l'on imaginerait être le sujet), l'Alamut du Vieux de la Montagne et de la secte des Assassins, les Aliscans ou Alyscamps d'Arles, le Bosphore, Carthage, la maison de Romulus ou Casa Romuli, le mont Cithéron, le Comitium qui est encore une fois une partie du forum romain et le Ficus Nauia qui s'y élevait, ou la Niger Lapis, la pierre noire qu'on y trouve, le Forum Boarium au pied du Palatin expédié en quatorze lignes à juste raison semble-t-il mais était-il raisonnable d'ouvrir une rubrique pour lui, le Forum de Trajan et de façon générale le Forum romain (avec en prime le temple de Janus, et le Lacus Curtius, toute proche la grotte du Lupercal), la Croix de Kerbellec « non loin de Saint-Brieuc », Émésa (ville sur l'Oronte), d'une certaine façon l'Espace stellaire vu par les Anciens… Nous devons abréger, et mentionner en passant seulement le Pays natal chez Aimé Césaire, le San Francisco des hippies, Stonehenge, le désert chez Le Clézio et Saint-Exupéry, la Catalogne d'Orwell, le Tibet d'Hergé et l'Afrique de Roussel.

Après cet échantillon de ce que l'on peut glaner côté Fantasy, on peut passer aux choses sérieuses. Donc à la SF. Ou à ses ancêtres les plus directs. La moisson, moins abondante, n'a rien de négligeable. On trouvera en effet l'Ajao de Fontenelle, la Terre Australe, l'An 2440 de Louis-Sébastien Mercier à l'article bibliothèque (et qualifié d'uchronie… pauvre Renouvier, d'autant que plus loin le monde de Tolkien est aussi appelé ainsi…), le Royaume souterrain chez Casanova et Potocki, ceux de Bustrol chez Simon Tyssot de Patot, de Congo dans la Terre australe connue de Gabriel de Foigny, de Coquetterie chez François Hédelin, abbé d'Aubignac, d'Éloquence chez Furetière, de Gala chez l'abbé André-François de Brancas-Villeneuve, l'Île Frivole de Coyer et celles de Calejava de Claude Gilbert, de Manghalour de Louis Rustaing de Saint-Jory, de Naudely de Pezron de Lesconvel, des Galligènes de Charles-François Tiphaigne de la Roche (et la Giphantie du même), et puis l'empire de Cantahar de Varennes de Mondasse, la Mégapatagonie de Restif de la Bretonne, la ville d'Orbe de Barthélemy Aneau, la Romancie de Guillaume Bougeant, Salente chez Fénelon, le Soleil chez Cyrano, le pays de Tendre, et puis la Terre intérieure, et l'île de Wayserdanos dans les Voyages curieux d'un Philadelphe dans des pays nouvellement découverts, texte anonyme qui se trouve être le dernier cité, sinon la dernière notice, du dictionnaire. On pourra y ajouter sans problème la Lune à la même époque moderne et quelques autres, oubliés ici. Et de menues choses remontant au xixe siècle ou au début du xxe : la Bosphoranie du russe Alexandre Weltman (1833), les Carpates de Jules Verne (évoqué aussi à l'article mine au xixe siècle) et celles de Bram Stoker, les textes de Kurt Laßwitz (1848-1910), la Maison du docteur Jekyll, Kareol chez Wagner (Richard) et l'Autre côté du roman homonyme d'Alfred Kubin (1909). Par-delà la Grande Guerre, on trouvera les Falaises de marbre de Jünger, peut-être la Ville de N, dans le roman du même nom de Léonide Dobytchine (1935) Shangri-la dans Horizons perdus de James Hilton (1933), Jean Ray convoqué à propos d'Ultima Thulé, et Arkham. Plus entre imaginaire et littérature générale le Meilleur des mondes d'Huxley, la Ferme des animaux d'Orwell et Océania pour parler de 1984 du même, ou encore Gheel, la ville des fous de Per Odensten (1981), ou Waterland de Graham Swift (1983). On trouvera même de la SF pure et dure, non pas avec les Mondes parallèles qui partent plutôt du côté de chez Kafka, du double et des mondes oniriques (comme dans les Fleurs bleues de Queneau) mais avec des textes sur l'espace interstellaire dans la Guerre des étoiles (consternant), Solaris de Lem et de Tarkovski, Mars la rouge de Kim Stanley Robinson et la terraformation comme mythe moderne (il est dommage que le rédacteur semble tout ignorer des antécédents), les Monades urbaines de Silverberg pour lesquels Klein est évoqué mais sans référence bibliographique en fin d'article ou de volume…

Bref, beaucoup de Fantasy, un peu de voyages imaginaires, un peu de SF plus ou moins bien traitée… Avec en prime de quoi s'énerver parfois, de quoi s'interroger sur les libertés que peuvent prendre certains universitaires quand ils s'aventurent sur des terres réputées non légitimes (mais aussi sur d'autres qui, culture antique oblige, sont reconnues telles). Mais à coup sûr de quoi faire des découvertes, de quoi avoir envie de retrouver tel ou tel livre, et si pour ce qui est de le lire effectivement, ce sera parfois une autre histoire, ce n'est déjà pas mal…

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 73, février 2014

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