KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Ugo Bellagamba ; Éric Picholle ; Daniel Tron : Imaginaires scientifiques & hard science fiction

actes de colloque, 2012

chronique par Pascal J. Thomas, 2013

par ailleurs :

Peyresq est un village perdu dans les Alpes de Haute Provence. Presque vidé de sa population dans les années 1950, il a été investi par une association belge qui l'a restauré pour en faire un “foyer d'humanisme”, et sert de lieu à des mini-congrès, essentiellement de physique. Mais depuis 2007, il y est aussi question de SF, avec les Journées Interdisciplinaires Sciences & Fictions de Peyresq (pour leur donner leur nom complet). Chaque réunion donnant lieu à la publication d'actes. Au menu : Robert Heinlein, Rudyard Kipling, les subjectivités collectives, pour les années passées, et à paraître : Mars (2011), Intelligences Artificielles (2012), Stanisław Lem (2013). Tout cela publié par les éditions du Somnium (une émanation des organisateurs), responsables également des actes des rencontres “SF et enseignement” qui se tiennent depuis 2010 à l'IUFM de Nice, et d'un petit nombre d'ouvrages qui sortent des sentiers battus.(1) Dont une réédition du fameux Trames et moirés de Gérard Klein (en lien bien sûr avec les Rencontres de 2009).

Autant vous avertir d'emblée, je rends ici compte d'un ouvrage auquel j'ai participé. On y trouve d'ailleurs ma photo page 22,(2) en exergue d'un article pas sérieux sur lequel je m'abstiendrai de tout commentaire. Le risque n'est pas là. La structure des actes de Peyresq est tout à fait unique, en ce sens qu'elle reflète leur organisation : pas, ou presque pas, d'orateur débitant sa conférence à un auditoire passif ; chaque demi-journée est divisée en deux “sessions” introduites par un modérateur chargé d'un bref propos liminaire, et ouvertes ensuite au débat entre tous. L'effectif des participants étant limité (entre vingt et trente), et nombre d'entre eux étant des gens brillants, bourrés de connaissances et d'opinions sur le sujet, les échanges peuvent être passionnants. Et ils sont enregistrés (et filmés) dans leur intégralité. Aux organisateurs incombe le travail de Bénédictins de la synthèse des débats, pour arriver à un livre qui combine des articles soumis par certains participants, la transcription des introductions des modérateurs, et un compte rendu des échanges.(3) Et les échanges souvent donnent envie de les poursuivre. C'est là qu'est le risque : au lieu d'une récension, que je reprenne la discussion. À bon entendeur…

Je ne vais pas donner ici le sommaire complet du volume. Ni une définition de son sujet, la hard science fiction, car c'était justement un des thèmes récurrents des débats. Je noterai plutôt qu'une bonne partie des propos s'est organisée sur la tension entre deux pôles, celui d'une analyse langagière d'une activité qui s'exprime après tout par le langage, et celui d'une affirmation de l'irréductibilité de l'activité scientifique au seul langage “naturel”, verbal. De quelle façon une telle activité se traduit-elle — ou doit-elle se traduire — en littérature, là est la question…

Côté langage et style, on trouvera (dans une certaine mesure) la session modérée par Irène Langlet et l'article de Samuel Minne ; côté irréductibilité de la science, l'article de Gilbert Hottois, philosophe respecté et chantre d'un certain extrémisme de la SF. Quel dommage qu'il n'ait pas pu venir à Peyresq ; son article ouvre des perspectives radicales, mais on aurait aimé en discuter plus avant avec lui.(4) Une des qualités de Peyresq, soit dit en passant, est justement d'attirer à l'occasion des personnalités connues en-dehors du milieu SF, mais prêtes à jouer pleinement le jeu ; pour cette édition, on notera aussi les noms de Jean Dhombres (historien des sciences) et Bernard Convert (sociologue).

La hard SF s'est définie comme une tentative de recentrer la SF sur sa vocation de base, à une époque (les années 1950) où elle avait commencé à s'en éloigner dans de multiples directions. En ce sens, elle se pose comme “la SF de la SF”, un noyau dur (hard core). Et sa définition à l'intérieur de la SF donne donc lieu à autant de controverses que la définition de la SF par rapport à la production littéraire en général. Le présent volume s'en fait l'écho. Par exemple, le space opera est une autre forme de SF radicale, qui adopte des stratégies qui ont pu sembler opposées — Jean-Claude Dunyach développe cette idée dans sa session. Je ne suis pas toujours convaincu par les catégories qu'il propose, mais le sujet est fertile. De même, je ne suis que médiocrement convaincu par l'idée d'une hard SF des sciences “molles” (mais là, je remets mon grain de sel). Bernard Convert, dans son article sur les science wars, opère d'ailleurs une remise à plat bienvenue sur le rôle de la sociologie des sciences, au-delà des fantasmes dans un sens ou un autre.

Finalement, il est plus intéressant de parler de la hard SF non par le biais de son essence (toujours difficile à saisir) mais par celui de ses fonctions. Ici encore, une tension de base : comment écrire une fiction (fausse, par définition) qui soit aussi vraie que possible ? Claude Ecken distingue dans la hard SF deux fonctions : spéculation et vulgarisation, tandis qu'Éric Picholle en voit trois : rupture, transmission et création (les deux premières correspondant grosso modo à celles d'Ecken, la troisième renvoyant plutôt à l'influence de la SF sur la science, par la création d'images qui influent la société). Ecken a peut-être tendance à se répéter un peu, Picholle a pour lui sa culture de physicien. Et de façon générale, c'est Éric Picholle qui semble dominer ce volume : il faudrait aussi mentionner sa session sur la physique quantique, ses explications sur le choix de couverture, ses multiples interventions toujours pertinentes…

Mais n'oublions pas la fonction de vulgarisation ; sous la plume de Robert Heinlein, la SF est didactique, et sur cet aspect, Estelle Blanquet est imbattable (et le compte rendu de la session qu'elle a modérée se lit presque comme un article d'elle). Après tout, si on veut que la hard SF, voire la science même, ait encore un public, il faut songer à le renouveler.(5)

Signalons enfin deux contributions qui sortent un peu du cadre que j'ai esquissé, un historique de la SF iranienne par Maedeh Moghaddam, et une session modérée par Jean Dhombres sur l'usage d'une SF didactique (avant l'heure) par Johannes Kepler — le fameux Somnium qui a donné son nom aux éditions.

Bref. Il fallait y être, mais si vous n'y étiez pas, ce livre sera pour vous l'occasion de rejouer la partie !

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 72, août 2013


  1. Nous avons déjà rendu compte de la Saison de la colère de Claude Ecken, de Solution non satisfaisante de Robert A. Heinlein, et des actes des journées Science et fictions à l'école.
  2. Les salauds, ils m'ont fait une tête de savant fou ! Mais quand je serai Maître de l'Univers, ma vengeance sera terrible…
  3. Où j'ai retrouvé plein de choses que j'ai dû dire, puisque les organisateurs détiennent des preuves, mais qui ne laissent pas de me surprendre…
  4. Je ne suis jamais sûr d'à quel point il est sérieux, surtout quand il se cite (abondamment) lui-même.
  5. Et ce n'est pas gagné, mais nous débouchons ici sur un problème qui dépasse largement les limites de Peyresq, de KWS et même de la SF, pour arriver à une question de société… sur laquelle on peut lire l'ouvrage lumineux de Bernard Convert, d'ailleurs, les Impasses de la démocratisation scolaire › sur une prétendue crise des vocations scientifiques (Liber › Raisons d'agir, 2006)

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