KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Juan Manuel Florensa : les Mille et un jours des Cuevas

roman de littérature générale avec quelques vrais morceaux de Fantastique dedans, 2010

chronique par Éric Vial, 2011

par ailleurs :

On le sait, le Fantastique est soluble dans la littérature générale et même dans le roman historique. À vrai dire, la Science-Fiction aussi, même si c'est plus difficilement, et il y a bien longtemps, Chabrol, l'écrivain cévenol, pas le cinéaste, racontait dans le Bouc du désert la vie d'Agrippa d'Aubigné en imaginant une méthode purement conjoncturelle d'enquête historique, à base d'hypnose. On s'en approche ici, dans ce qui est loin d'être le premier livre de l'auteur, mais est sans doute le premier chez un grand ou gros éditeur ayant la vertu inappréciable d'assurer une bonne diffusion. C'est l'histoire d'un petit-fils d'exilé espagnol de 1939 qui part chercher ses racines, chez son grand-père réinstallé à Barcelone, qui voit la ville par l'envers du décor mais surtout découvre ce qu'ont été la guerre civile et la répression franquiste, y compris celle, mesquine et sanglante, d'après la victoire — sans manichéisme et sans cacher les turpitudes d'en face, les déchirures du camp républicain, mais en rappelant simplement quelques faits simples, volontiers oubliés. Il le fait à travers des récits, mais aussi un “don”, des visions, dont celle de son arrière-grand-père torturé à mort, vers 1942, par des gardes civils voulant lui faire dire où était son fils, celui qui s'est réfugié en France…

La deuxième partie du roman lui fait raconter (hallucination ultra-réaliste née d'une maladie, de la fièvre) l'arrivée, justement, les gendarmes, les camps dont la plage d'Argelès, la mort qui rôde, le mépris et la haine des bien-pensants, leur exploitation de la détresse (de même nature que ce que racontait Pierre Versins qui, emmené en déportation à l'épisode juste suivant, avait dû troquer sa montre pour avoir droit à un verre d'eau — après la mort de Versins, l'auteur de ces lignes a découvert que son grand-père était dans le même train).

Le tout est lié par une histoire familiale qui n'est sans doute pas ce qu'il y a de plus intéressant, mais surtout par une écriture torrentielle, lyrisme et imprécations. Et on peut se demander pourquoi fantômes et visions surgies du passé viennent s'ajouter à un texte qui n'en aurait pas absolument besoin pour que le récit avance… Peut-être parce que les prétentions au réalisme sont trop souvent si convenues et si nombrilesques qu'une dose d'irréel, fournie par le Fantastique ou la Science-Fiction, et plus souvent par le premier à cause des fragilités stomacales des lecteurs, est nécessaire pour que la réalité puisse être décrite ; pas seulement celle du moment, du présent, mais même celle du passé.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 69, juin 2011

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