KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Daniel F. Galouye : le Monde aveugle

(Dark universe, 1961)

roman de Science-Fiction

chronique par Éric Vial, 2011

par ailleurs :

Il faut relire les classiques. C'est-à-dire les lire quand on se contentait d'en causer par ouï-dire. Parce qu'on n'avait, en l'occurrence, jamais mis la main sur la première édition en français en "Présence du futur".(1) Quitte à être un peu déçu : « Ce n'était donc que ça… ». Mais aussi à se rendre compte que la pièce de musée, le document archéologique, le machin presque aussi vieux que l'auteur de ces lignes et que l'on s'apprêtait à lire un peu par devoir, tient encore pas trop mal la route. Même si l'on voit venir (on entend venir, vu le sujet ?) un certain nombre de choses, mais un des plaisirs du lecteur de roman populaire, dont descend (du roman, pas du lecteur) en partie la littérature de genre, même celle qui nous intéresse le plus ici, est d'avoir une longueur d'avance sur les personnages, de comprendre avant eux, etc. Donc tout va bien. La couverture induit peut-être un peu en erreur quant au contenu, mais il aurait été peut-être commercialement scabreux qu'elle soit uniformément noire, graphiquement difficile de représenter les échos sonores, etc. La quatrième donne un peu vite la clé d'une partie de l'énigme, tuant la construction des premières pages, mais c'est hélas la loi du genre, et de toute façon, le titre lui-même, en français comme en anglais, vend en partie la mèche. Reste qu'on suit sans déplaisir une tribu manifestement primitive dans un monde de totale obscurité. Ses difficultés croissantes. Les relations avec la tribu voisine. Les dangers rencontrés. Le conflit avec les “autres”, ceux qui “zivent” le monde au lieu d'écouter les échos réverbérés par les parois. La tension entre l'aspiration à sortir du monde connu et le respect des règles proprement religieuses qui l'interdisent, tension bien faite pour parler à un lecteur adolescent. Des épisodes plus ou moins utiles mais jamais totalement superflus, et qui font passer de la nouvelle au roman, du concept à une aventure. L'identification lente des “monstres”. L'incompréhension face à des phénomènes étranges, incompréhensibles, et que nous avons peut-être du mal à identifier tout de suite parce qu'ils seraient trop évidents pour nous.

Et avec le recul, on notera peut-être une dimension proprement politique, un discours souterrain, si l'on ose dire, une référence à d'autres conflits plus immédiats, que miment peut-être ceux entre tribus, et qui débouchent sur l'explication finale. De ce point de vue, l'on retrouve l'aspect “document historique” : lors de la parution du roman, en 1961, la guerre froide était sur le point de s'assoupir pour plus d'une décennie, après une dernière flambée périlleuse avec l'affaire des missiles de Cuba, l'année suivante. De quoi orienter les esprits vers le post-apocalyptique, vers la menace nucléaire, etc. De quoi aussi faire parler des possibilités de coexistence. Peut-être aussi les rapports entre tribus, les méfiances, les hostilités, et en même temps les liens qui se créent, ouvertement ou de façon camouflée, renvoient-ils aux débuts de la déségrégation. On pardonnera à l'historien, victime d'une déformation professionnelle, de proposer cette lecture. D'autant qu'entre découvertes et ficelles, épisodes et dénouement, on a de quoi avancer, se prendre au jeu, lire au premier degré, passer un bon moment. Ce qui est l'essentiel.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 69, juin 2011


  1. Traduite de l'américain par Frank Straschitz ; cette traduction a été revue par Julie Pujos.

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