KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Oksana ; Gil Prou : Cathédrales de brume

roman de Science-Fiction, 2009

chronique par Philippe Paygnard, 2011

par ailleurs :

Véritable paquebot des étoiles, le Bellérophon II emporte dans ses flancs quelque trente-cinq mille passagers, à travers l'espace contrôlé par la Ligue, vers la planète Altaïr XXXIV. Mais le voyage se termine de manière dramatique puisque le vaisseau, frappé par une pluie d'astéroïdes, est totalement désintégré. Seule une chaloupe de sauvetage échappe à la destruction. Malgré ses trois places standard, la navette Chrysaör 883 n'emporte à son bord qu'un seul et unique occupant nommé Amaranth Heliaktor. Lorsqu'il reprend connaissance, ce dernier découvre qu'il est littéralement piégé dans le sarcophage de survie qui occupe l'essentiel de sa navette. Dans l'incapacité de bouger, il s'interroge alors sur les énigmatiques raisons de sa survie.

La lecture de ces Cathédrales de brume fait instantanément naître des sentiments ambivalents. À l'évidence, il y a, dans ce livre de presque cinq cents pages, d'évidentes ambitions, notamment celle d'intégrer des théories scientifiques reconnues à sa trame romanesque. Mais il y a également des choix de forme et de style qui rendent laborieux le décryptage de cette longue errance à travers l'espace.

Parmi les petits détails qui dérangent, il y a d'abord cette idée de mettre en exergue de chacun des trente-cinq chapitres de Cathédrales de brume, ainsi que de son prologue et son épilogue, une citation qui est censée donner la couleur de chaque subdivision. Il y a également cette prédilection pour un vocabulaire recherché, substituant ainsi des mots rarement usités à des termes plus courants. Il y a enfin cette décision d'affubler certains personnages de noms et de prénoms peu communs à commencer par les deux héros que sont Amaranth Heliaktor et Emmïgraphys, son artificielle compagne.

L'aspect hard science des Cathédrales de brume fait également quelque peu long feu. En effet, même si Jean-Pierre Luminet, directeur de recherches au CNRS, fait en guise de préface un brin de vulgarisation et rappelle qu'avant Gil Prou et Oksana, d'autres artistes ont intégré la physique quantique à leurs évocations de l'espace (y compris Star trek et Stargate), il est très difficile pour un lecteur vivant dans un monde à quatre dimensions (si l'on inclut la dimension temporelle) de concevoir, à partir d'une simple description écrite, des univers à cinq voire à dix dimensions.

Fort heureusement, il reste une dernière dimension de ces Cathédrales de brume où Oksana et Gil Prou se révèlent plus convaincants, celle des rêves. En effet, piégé dans son sarcophage de survie, maintenu en vie par une substance merveilleuse (l'omphalium) pour une durée dépassant l'entendement, Amaranth Heliaktor dispose d'un dispositif qui permet de donner consistance à ses rêves sous forme de protoplasmes holographiques. Il va donc au fil des ans et des siècles de son errance construire des mondes de rêves et parfois de cauchemars qui lui permettent d'échapper à la folie. Des univers oniriques qu'il peuple de créatures imaginaires et de résurgences de figures historiques. Héraclite, Pic de La Mirandole, Attila, Jim Morrison et bien d'autres font ainsi, plus ou moins longtemps, partie des étranges passagers du Chrysaör 883. Hétéroclite et intriguant, l'équipage final de la chaloupe de l'éternité n'a vraiment rien de réaliste puisqu'il réunit, autour d'Heliaktor et d'Emmïgraphys, un extraterrestre de l'espèce des Daëdalus nommé Centipède, Taskhäärh le crocodile du Crétacé, Sophonisba, une hétaïre vénitienne du xvie siècle, Astrée et Céladon, les bergers imaginés par le romancier Honoré d'Urfé (1567-1625).

Premier roman publié du duo Oksana-Gil Prou, ce livre est bien loin d'atteindre la perfection ; pourtant, le personnage d'Amaranth Heliaktor, si peu disert et si souvent taciturne, se révèle au final plutôt attachant et, en faisant quelque effort, on finit par avoir une certaine envie de savoir quelles sont les entités qui jouent ainsi avec son destin et quel sera son avenir au-delà de ces Cathédrales de brume, dans Ereshkigal puis Quintessence.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 68, mars 2011

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