KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Norman Mailer : Bivouac sur la Lune

(Of a fire on the Moon, 1970)

reportage

chronique par Éric Vial, 2010

par ailleurs :

Le titre “fait” indéniablement SF. Soyez tout de suite rassurés : ce n'en est pas. Ceci n'est pourtant pas tout à fait une tentative pour introduire de la littérature générale platement réaliste dans KWS, alors même qu'il s'agit bien de réalisme, et même de reportage. Plus de six cents pages de reportage. Mais autour d'Apollo XI. Des premiers pas de l'Homme sur la Lune. Rééditées en poche pour raisons de quarantième anniversaire (tempus fugit). Redevenues disponibles. Et finalement aussi science-fictives que Tintin, avec le recul, et même si c'est sans l'aspect désormais uchronique. Parce que comportant, rappelant parfois l'esthétique de l'hyperréalisme, une description minutieuse de la mission vue du sol, et des réactions de Norman Mailer aux franges de ce que l'on n'appelait pas encore l'autofiction, ou du journal intime. Descriptions de techniciens, de conférences de presse, relevés d'échanges radio, rappels du passé, des missions antérieures, des essais échouant, du drame de l'incendie qui coûta la vie à Grissom, White et Chaffee, des inquiétudes, des hésitations, des incertitudes. Rappel de tout ce qui n'était pas évident mais qui l'est devenu, rappel aussi de l'intendance, du sol. Jusqu'à l'alunissage, parce que ce n'est plus alors le plus important : c'est ce qu'on a retenu de toute façon, et significativement cela n'intervient qu'au-delà de la cinq centième page… encore que les inquiétudes du retour, la peur de quelque contamination extraterrestre… le tout ancré dans une Amérique qui est à bien des égards encore celle d'Ike, qui ne sait peut-être pas qu'elle est celle de la contestation (il est question de LSD à la fin, mais pas vraiment de situation politique alors qu'elle est déjà celle de Nixon). Accessoirement, c'est la plume de Norman Mailer, entre les Nus et les morts et le Chant du bourreau… et le traducteur (Jean Rosenthal) semble s'être fort bien mis à son service, quitte à commettre peut-être quelque abus en parlant en permanence de Verseau pour le module Aquarius, mais après tout, s'il n'a pas osé parler de mission “Apollon”, nul ne songera sans doute à lui reprocher de parler de la fusée Saturn en lui ajoutant un "e" final francisateur…

Au total, au-delà de ce qui n'était plus de la SF au moment de la rédaction, mais qui en redevient avec le temps, comme Wells, Verne ou Hergé, on a de la SF parce que des uchronies sont suggérées dans les replis de la description, à chaque fois où l'avenir s'ouvre ou plutôt pourrait se fermer sur un échec, bien avant la fermeture réelle, postérieure, pour cause de crise économique et énergétique, de repli frileux, d'abandon du rêve. On a de la SF aussi à travers différentes considérations, elles aussi rendues obsolètes par le temps mais inscrites dans le patrimoine génétique du genre, par exemple sur les super-ordinateurs et la crainte qu'ils engendrent. Mais peut-être a-t-on surtout de la SF pour des raisons générationnelles, pour une génération plus ou moins née avec la conquête de l'espace, plus ou moins téléspectatrice de choses alors inouïes, désormais évanouies ou devenues prosaïques, privées d'une part de rêve, et qui a découvert la SF à peu près en même temps, ou juste après pour faire relais. Et qui ne s'en remet pas. Je ne sais pas ce qu'il en est d'autrui, de plus vieux ou de plus jeune… Mais très subjectivement, il me semble, pour de bonnes et mauvaises raisons, que cette littérature générale, ce journalisme au long cours, rejoint la SF. Une SF aux couleurs sépia de la nostalgie et des occasions perdues.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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