KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

George Orwell : À ma guise

(Orwell in ‘Tribune’, 2006)

recueil de chroniques sur la période 1943-1947 établi par Paul Anderson

chronique par Éric Vial, 2009

par ailleurs :

Bien entendu, il ne s'agit pas de SF. Mais ce recueil de chroniques publiées dans l'hebdomadaire de la gauche du parti travailliste anglais, outre leur intérêt propre, de fond et de forme, et leur actualité même après plus de soixante ans, présente pour l'amateur du genre deux intérêts qui poussent à le signaler ici.

D'abord ses références à la SF, ou du moins à sa partie la plus académiquement acceptée, avec des renvois (vachards, pour être exact) à C.S. Lewis, à Wells ou à Huxley, un éloge rapide de Nous autres de Zamiatine, des allusions à des nouvelles de 1907, signées “Ole Luk-Oie”, décrivant un raid de bombardiers ou l'invasion de l'Angleterre par les Allemands, ainsi un pamphlet de la fin des années 1930, "le Manuscrit de 1946" de Robin Maugham, description de l'instauration en Angleterre d'une dictature fasciste dirigée par un général victorieux. On ajoutera une déploration des comics américains, entre super-héros et SF de pacotille, mais combinée à une claire affirmation de la nécessité de la liberté de la presse aux antipodes de la furie jdanovienne des inspirateurs catholiques et communistes de “notre” liberticide loi de 1949 « sur les publications destinées à la jeunesse ». Et toujours dans un sens négatif, mais visant sans doute davantage la Fantasy, cette autre déploration, à la suite d'un concours d'écriture : « De façon consternante, un très grand nombre de ces nouvelles traitent d'utopies, se passent au ciel ou font intervenir des fantômes, la magie ou des choses de ce genre ». On ajoutera enfin des remarques portant les germes d'histoires de SF, comme le fait de se demander « si notre Terre ne sert pas d'asile psychiatrique à une autre planète ».

Ensuite, ces chroniques ont été écrites dans la période de rédaction de la Ferme des animaux et de 1984, et éclairent le point de vue de l'auteur sur les dictatures, sur la capacité de la propagande totalitaire à se contredire impudemment et surtout à réécrire l'histoire pour se rendre maîtresse du passé, sur l'usage de la radio comme machine non à rapprocher les hommes mais à exciter les nationalismes, ou, en reprenant le livre de James Burnham, l'Ère des organisateurs, sur la possibilité d'un partage de la planète entre quelques super-États se livrant une guerre perpétuelle. Seul petit problème sur ce chapitre, il arrive que l'auteur des notes ait des difficultés à comprendre ce qu'il commente, par exemple lorsqu'avec le recul, Orwell ironise sur la glorification de l'amiral Darlan quand il passait pour un amiral républicain, avant qu'il devienne le dauphin de Pétain. Cela nous concernerait peu ici si un contresens de ce genre ne portait sur la novlangue de 1984, dont ledit auteur croit voir l'origine dans le basic English de 850 mots. Or Orwell défend celui-ci, jusque dans les tout derniers mots de sa dernière chronique, il le présente ailleurs comme une langue internationale potentiellement plus efficace que l'esperanto, et surtout comme un langage dans lequel instantanément les phrases grandiloquentes « perdent leur emphase » ; il ajoute même s'être « laissé dire qu'en Basic vous ne pouvez pas former un énoncé dénué de sens sans qu'il devienne manifeste qu'il est dénué de sens » : c'est bien le contraire de la novlangue et de ses équivalents. Il s'en prend en revanche aux langues de bois, à l'usage des métaphores préfabriquées et des formules mal traduites, aux euphémismes et aux artifices rhétoriques de ses collègues pro-staliniens, et là, on a bien le germe de cette même novlangue.

Voici donc les points de contact avec la SF. Ils ne sont sans doute pas énormes, mais bien réels. Et puis, de toute façon, c'est Orwell…

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 62-63, juillet 2009

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