KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Robert Charles Wilson : Bios

(Bios, 1999)

roman de Science-Fiction

chronique par Pascal J. Thomas, 2002

par ailleurs :

La colonisation de l'espace interstellaire a commencé par le petit bout : une station orbitale autour de la planète Isis, et quelques avant-postes au sol. Le ravitaillement de cette tête de pont, aussi petite soit-elle, est lent et terriblement coûteux, chaque envoi de matière devant être calculé à la particule près. Et inutile de compter sur les ressources locales : Isis dispose d'une biosphère violemment hostile à la présence humaine ; une seule bouffée d'air local, et c'est une mort foudroyante assurée. Et les différents mécanismes de protection commencent à flancher…

Sur ces entrefaites arrive Zoe Fischer, jeune femme bardée d'équipement nouveau envoyée par le département Devices and Personnel des Trusts qui gouvernent la Terre, et sont responsables de l'effort de colonisation d'Isis. Il se révèle progressivement que c'est la biologie de Zoe elle-même qui est expérimentale et mal contrôlée. Les Terriens ordinaires, à la différence des habitants libertaires du système solaire extérieur, vivent avec un dispositif de contrôle des émotions qui agit par relâche d'hormones dans la circulation sanguine. Garantie de bonheur sans vagues, et de maintien d'un ordre social oligarchique.

On le voit, Wilson a mêlé une louche du Monde de la mort (Harry Harrison) et du Meilleur des mondes pour concocter son dernier livre. Le mélange retient l'intérêt : en présence d'une planète étrange, les auteurs de SF de l'âge classique disposaient souvent une phalange humaine à l'organisation décalquée sur la nôtre. Ici, le centre d'intérêt est plus la société humaine que la biosphère étrangère à laquelle elle se confronte. Si la tension entre la société contrôlée (par des familles ploutocrates) de la Terre et les anars des Kuipers n'a rien de nouveau en elle-même, le fait est qu'elle s'exprime en particulier par des emplois différents de la technologie médicale.

Le personnage le plus attachant du lot est sans conteste Zoe, traitée dès la naissance comme du matériel humain, effroyablement traumatisée par un séjour dans un orphelinat où décèdent ses quatre sœurs clones, indéfectiblement attachée à Theo, homme haut placé dans son organisation qui la considère tantôt comme sa fille, tantôt comme un rat de laboratoire. Mais Zoe n'est plus un animal docile. Les tensions sont fortes.

Wilson donne ici un roman très bref — à l'aune de la SF d'aujourd'hui —, sans complication dans l'intrigue, mais qui ne recule pas devant le tragique, un registre peu usité par la SF américaine. Un roman ramassé et frappant, qui se sert abondamment dans le stock des idées éprouvées de la SF — comme l'hypothèse de Gaia, liée ici au Paradoxe de Fermi : pourquoi le ciel est-il muet ? —, tout en gauchissant suffisamment les points de vue de ci, de là, pour gagner ses galons d'originalité. Une petite œuvre, pleine de punch, d'un auteur indéniablement doué.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 41-42, janvier 2002

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