KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Poppy Z. Brite : Self-made man

(Are you loathsome tonight?, 1998)

nouvelles d'Horreur fantastiques

chronique par Philippe Paygnard, 2001

par ailleurs :

Connue pour ses romans et ses nouvelles au parfum de soufre, mêlant amours homosexuelles, horreur sanglante et rock 'n' roll, Poppy Z. Brite a su imposer une voix fort personnelle dans le monde de la littérature fantastique. Ce deuxième recueil de nouvelles, après les Contes de la fée verte, permet de retrouver douze textes signés par l'auteur du Corps exquis. Comme de bien entendu, on retrouve à travers ces nouvelles tous les éléments qui ont fait la réputation sulfureuse de Poppy Z. Brite : gore, gay et gothique. Véritable règle d'écriture de la romancière, les trois “G” se retrouvent de manière plus ou moins intense dans les œuvres précédentes de Brite. Ils sont extrêmement présents dans son premier roman, Âmes perdues, comme dans les textes qu'elle a soigneusement sélectionnés pour les deux anthologies Éros vampire placées sous sa direction.

Cette règle des trois “G” n'est fort heureusement pas appliquée de manière mécanique par Poppy Z. Brite, qui parvient à surprendre ses lecteurs avec les douze nouvelles de Self-made man.

On constate ainsi que le “G” du gore domine très nettement dans "Délivrance", un texte très dur écrit en collaboration avec Christa Faust, où les deux auteurs dressent le portrait de l'étrange relation entre un homme et son pistolet.

C'est le “G” de gay qui est aux avant-postes dans "le Roi des chats", un conte revu et corrigé par David Ferguson et Brite qui oblige à regarder les matous d'un tout autre œil.

Quant au “G” de gothique, il se trouve incidemment dans le titre du texte d'ouverture, "In vermis veritas". Très courte, cette nouvelle donne la parole à un personnage trop souvent négligé dans les récits d'horreur.

Ce texte permet d'ailleurs de découvrir une facette jusque-là méconnue de Poppy Z. Brite, qui utilise un ton plus léger qu'à l'habitude et livre un récit presque humoristique. Cette approche très particulière se retrouve dans "Plat du jour", une nouvelle décalée où Poppy Z. Brite se met en scène dans le rôle d'un docteur Scarpetta plus vraie que nature, le temps d'une petite autopsie. C'est un humour tout aussi étrange et pourtant bien différent que l'on rencontre dans "Elvis : un destin grêle" où la romancière, à l'image de son amie et postfacière Caitlín R. Kiernan, joue avec les mots.

Beaucoup plus sérieuses, d'autres nouvelles cadrent totalement avec la règle des trois “G” ; c'est notamment le cas de "Self-made man". Placé sous l'ombre tutélaire du criminel en série Jeffrey Dahmer et donc du Corps exquis, ce texte entraîne le lecteur au plus profond de l'horreur. Suivant une lente mais inéluctable progression, savamment orchestrée par Poppy Z. Brite, le récit bascule doucement du réel au surnaturel. Il quitte le fait divers morbide mais horriblement réaliste pour lentement glisser vers les zombifiants univers de George Romero.

"Visitation" peut également entrer dans cette catégorie, même si la violence y est tamisée par le passage des ans. Ce texte est une habile variation sur les thèmes classiques des fantômes et de la possession. Les spectres sont d'ailleurs très présents dans Self-made man puisqu'on les retrouve sous diverses formes dans deux autres textes de ce recueil : "Résurrection" et "Mussolini et le jazz de La Nouvelle-Orléans". Des fantômes qui ont, pour la plupart, la caractéristique de s'inspirer de personnes ayant existé.

Certains textes réjouiront plus particulièrement les amateurs de l'œuvre de Poppy Z. Brite puisqu'ils permettent de retrouver certains personnages déjà connus, ayant fait une première apparition dans les précédents romans ou nouvelles de Brite. À travers ces textes, on sent le réel attachement de l'auteur pour l'univers qu'elle contribue à créer et surtout pour les habitants de ce monde.

Fidèles parmi les fidèles, Steve et Ghost, les membres du groupe de rock Lost Souls, font ainsi une apparition dans un texte court intitulé "America" aux allures de boutade. Trevor et Zach, les deux héros du roman Sang d'encre, sont également présents au sommaire de Self-made man dans une nouvelle, "le Vin de l'âme" (déjà proposée dans l'anthologie Cosmic erotica), qui mêle amour, drogue et passage à l'an 2000 et qui peut aussi se lire comme un hommage au romancier William S. Burroughs.

On peut d'ailleurs constater que Poppy Z. Brite reste plus attachée aux personnes qu'au lieu puisqu'elle n'utilise pas le décor de Missing Mile, la ville de Caroline du Nord qu'elle avait créée et développée dans Âmes perdues et Sang d'encre.

Plus surprenante encore, la nouvelle "la Lune et le parfum des roses" permet à Brite de revenir sur le personnage de Périque. Apparu dans la nouvelle "Triades", co-écrite par Christa Faust et publiée dans l'anthologie Révélations, Périque n'était qu'un personnage secondaire qui jouait alors ce rôle à merveille au côté des jeunes héros de ce texte presque historique, situé dans la Chine de la fin des années trente. "La Lune et le parfum des roses" offre ainsi à Poppy Z. Brite l'occasion de revenir sur les origines de ce personnage complexe qui, visiblement, n'avait pas tout dit lors de sa première apparition dans le monde de l'auteur.

Avec Self-made man, Poppy Z. Brite reste fidèle à ses écrits précédents, mais démontre aussi avec brio qu'elle peut varier les styles et les sujets en restant efficace et convaincante. Ses textes peuvent choquer ou embarrasser, mais ils sont toujours maîtrisés et parviennent à entraîner le lecteur dans un monde fait de sentiments et de sensations, quelle que soit la nature de ces derniers. Si elle semble s'être assagie et laisse derrière elle certains excès, c'est pour mieux surprendre ses lecteurs en leur faisant découvrir d'autres facettes des univers qu'elle écrit et qu'elle décrit.

Seul regret, l'absence de Jean-Daniel Brèque dans la liste des traducteurs de ce recueil. Brèque semblait pourtant être devenu le traducteur officiel de Poppy Z. Brite puisqu'il avait signé les versions françaises d'Âmes perdues, des Contes de la fée verte, de Sang d'encre et du Corps exquis.

Cette absence est d'autant plus regrettable que deux des textes proposés dans ce recueil ("Délivrance" et "la Lune et le parfum des roses") avaient déjà été publiés en France, dans l'excellente revue Ténèbres, sous d'autres titres ("Sauvé" et "Épinglé") mais dans une traduction de Jean-Daniel Brèque.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 39, juin 2001

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