Jonathan Carroll : Flammes d'enfer
(Sleeping in flame, 1988)
roman fantastique
- par ailleurs :
Carroll est dans la collection "Terreur" chez Pocket un auteur atypique. Mais ne le serait-il pas où qu'il fût publié ? Son mélange d'observation minutieuse des tempêtes du cœur et du vertige de l'irruption d'agents surnaturels dans le destin personnel, s'il n'est pas unique, est exécuté avec assez de brio pour lui assurer une place à part parmi les auteurs de Fantastique moderne — et certainement un positionnement bien différent de celui des auteurs qui justifient l'intitulé de la collection "Terreur".
Pour une fois cependant, la maquette de couverture sert bien un livre en en reprenant la première phrase : « Il m'a fallu moins de la moitié d'une vie pour comprendre que le regret est une des rares certitudes auxquelles nous ne pouvons échapper. »
. En une phrase, l'essentiel de l'auteur : le sol affectif qui se dérobe sous les pas du protagoniste, et la révélation d'autres destins soudainement, magiquement accessibles, ou de vies précédentes à la fois fascinantes et lourdes de menaces, sont les deux catégories principales d'ingrédients auxquels Carroll fait appel. Tout en tournant dans des décors précieux qui empruntent à la bourgeoisie artistique new-yorkaise et aux richesses centre-européennes de Vienne, qui fut longtemps sa cité de résidence.
Flammes d'enfer commence comme une comédie : Walker Easterling, acteur occasionnel et scénariste, rencontre Maris, une femme qui l'éblouit et doit se débarrasser d'un petit ami violent et persistant. L'idylle ne tarde pas. Puis, sans que cela semble lié, commencent cauchemars récurrents et faits étranges. La comédie bascule quand le meilleur ami de Walker tombe sous les balles perdues de terroristes à l'aéroport de Vienne. À l'occasion de l'enterrement, Maris aperçoit sur une tombe le portrait d'un jeune homme mort dans les années 50, le portrait craché de Walker…
À partir de là le livre bascule dans le Fantastique : rencontre avec un magicien, révélation progressive des vies antérieures de Walker, et surtout connexion avec "Outroupistache", un conte des frères Grimm revisité côté coulisses, ou plus exactement vécu du point de vue du méchant de l'histoire. Les contes de fées ne sont que depuis peu tombés dans le domaine de la littérature enfantine ; ou plutôt, la littérature enfantine n'est que depuis peu conçue comme un univers doux et rassurant. Les contes, en version originale, véhiculaient la terreur. Les enfants s'y faisaient dévorer. Et surtout, ils vivaient dans un doute permanent sur leur filiation : échangés au berceau, abandonnés et recueillis, victimes du remariage du père avec une marâtre — invariablement chargée du mauvais rôle —, ils ne s'en sortaient guère mieux avec leurs parents naturels, toujours prêts à les abandonner au fond des bois si la nourriture venait à manquer…
Très souvent, le conte idéalise la parenté naturelle : garante d'un vrai amour familial, elle se reconnaît toujours quand la princesse héritière éloignée du palais vient reprendre ses droits. L'expérience du monde réel démentit ce point de vue et relativise beaucoup la différence entre parent biologique et adoptif. Dans "Outroupistache", un enfant change de main aussi, mais Carroll prend un point de vue résolument moderne en tenant pour acquise la paternité du nain voleur d'enfants. Et allie modernité et fidélité au conte en rétablissant un violent conflit entre père et fils, motivé de façon très contemporaine par un désaccord sur les projets de mariage de ce dernier.
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