KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Stephen King : la Petite fille qui aimait Tom Gordon

(the Girl who loved Tom Gordon, 1999)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2000

par ailleurs :

Qui d'autre que Stephen King pouvait écrire un livre tout entier consacré à une petite fille perdue dans les bois. La réponse est un bon nombre d'auteurs de littérature générale, mais seul King était capable, sans sombrer dans le ridicule et sans plagier les frères Grimm ou Charles Perrault, de transformer ce simple fait divers en un roman où apparaissent des choses et des faits inexplicables. Une nouvelle fois, le récit de King reste à la frontière du fantastique, ne franchissant cette ligne qu'à la fin et uniquement si le lecteur le veut bien. Plus encore que Sac d'os ou que la Ligne verte, la Petite fille qui aimait Tom Gordon reste fermement ancré dans la réalité. Ainsi, les bois qui emprisonnent Trisha McFarland existent bel et bien, les marais qui menacent de l'engloutir sont tout aussi réels, et les guêpes, moustiques et autres bestioles qui assaillent la petite Trisha le sont tout autant. Alors que la chose qui la suit, menaçante et invisible, semble, pour le lecteur, directement sortie de l'imagination fertile et enfiévrée de cette petite fille perdue.

La Petite fille qui aimait Tom Gordon n'est donc pas à proprement parler un livre de monstres et de mystères ; c'est un récit où la terreur peut surgir du fond des bois, là où il fait si sombre, là où la mort rampe ou a des griffes. Car, qu'il soit réel ou imaginaire, le monstre est là, présent dans chacune des pensées de la petite fille perdue. Pourtant, au-delà de ce duel à distance entre cette fillette de neuf ans et la chose cachée au fond des bois, la véritable histoire est celle de Trisha McFarland qui lutte pour survivre dans un environnement hostile et qui se bat pour retrouver sa mère, son père et même son frère.

La narration elle-même amplifie le sentiment de solitude. Se faisant pratiquement du seul point de vue de la petite fille perdue, l'histoire devient rapidement oppressante. Le lecteur n'a aucune bouée de sauvetage à laquelle il pourrait se raccrocher ; il ne peut que suivre le long calvaire de cette enfant perdue. Aucun espoir ne vient alléger le récit de King et les rares incursions hors des bois ne font qu'aggraver cette impression de désespérance. Surtout lorsqu'on apprend, au détour d'un paragraphe, que les sauveteurs s'orientent vers une mauvaise piste.

Le découpage du roman en neuf chapitres est astucieux, à condition d'y reconnaître celui d'une partie de baseball, sport bien peu pratiqué dans nos contrées. Évidemment, il n'est pas innocent puisque le seul soutien de la petite fille perdue reste son Walkman et les retransmissions des matchs de baseball de son équipe favorite, les Red Sox de Boston, avec son idole, le lanceur Tom Gordon, le nº 36. Le joueur devient le compagnon imaginaire de Trisha et lui permet d'affronter certaines de ses peurs.

On peut remarquer enfin que ce court roman de Stephen King n'est pas traduit, comme à l'habitude, par William-Olivier Desmond, mais par François Lasquin. Ce dernier a déjà eu l'occasion de fréquenter l'œuvre du romancier du Maine. De King, il a ainsi traduit l'Année du loup-garou et Simetierre. Il s'est également chargé de la version française de l'un des meilleurs romans de Richard Bachman, la Peau sur les os. Il s'explique sur certains de ses choix dans une “note du traducteur” qui ne manque ni de culture, ni d'humour.

La Petite fille qui aimait Tom Gordon risque de déplaire à ceux qui ne voient en Stephen King que le “roi de l'Horreur”. Avec ce livre, le romancier prouve une fois de plus qu'il est avant tout un créateur de personnages, qu'il s'agisse d'un romancier en quête d'inspiration, d'un gardien de prison à la retraite ou d'une petite fille perdue, dont les peurs et les sentiments les plus profonds deviennent le moteur indispensable de ses histoires. Si l'on devait tirer une maxime de ce récit, ce pourrait être celle-ci : « Le goût en était à la fois sublime et infect. Comme la vie. » À méditer.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000

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