KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Norman Spinrad : Il est parmi nous

(He walked among us, 1999)

roman de Science-Fiction

chronique par Dominique Martel, 2000

par ailleurs :

On se demande pourquoi He walked among us — qui va sortir dans quelque temps en Allemagne(1) — n'a pas encore trouvé preneur aux États-Unis. Il s'inscrit en qualité dans le lot des bons livres de SF d'auteurs divers et variés, inconnus ou non, qui sortent régulièrement là-bas. Faut-il voir dans ce refus la marque de la dictature qu'imposent de plus en plus les grandes surfaces du livre aux éditeurs américains, lesquelles n'ont jamais trop aimé Spinrad dont les ventes n'ont à aucun moment, dans leur esprit et dans les faits, suffisamment contrebalancé la réputation politique et licencieuse pour qu'elles l'accueillent à bras ouverts dans leurs étalages ? Sans doute, puisque c'est l'explication que l'auteur lui-même donne, en précisant qu'on est allé jusqu'à lui proposer de reprendre une carrière sous un autre nom, plus discret, mais aussi moins payé…

Celui de Dexter D. Lampkin, par exemple ? C'est un des protagonistes du livre, auteur de Science-Fiction de son état, ayant à son actif quelques romans marquants et une carrière raisonnablement réussie. Il arrondit nettement ses fins de mois en scénarisant pour Hollywood et c'est dans ce cadre qu'il a parfois affaire à…

… Texas Jimmy Balaban, un agent qui fait dans le show biz, vieux routier qui a malgré tout su garder dans ce contexte une forme d'humanité et d'honnêteté, peut-être parce qu'il n'a jamais vraiment réussi à mettre la main sur la poule aux œufs d'or. Pour aider ses clients à travailler leur image publique, il a entre autres recours à…

… Amanda Robin, parfaite incarnation de l'archétype californien : jeune, jolie, en plein trip new age. Elle n'a qu'un défaut, une intelligence inhabituelle dans une telle enveloppe, qui la pousse à rationaliser ses croyances, à éviter toute référence à la surnature, à simplement penser que la science officielle ne sait pas tout et que tous les domaines de l'esprit et du corps n'ont pas été balisés. Elle donne des cours sur les techniques de concentration, à grand renfort de zeitgeist et de dreamtime, pratique le voyage initiatique, mais elle aussi fait bouillir la marmite en consultant pour Hollywood.

Qu'est-ce qui rapproche ces trois personnages disparates, en qui on pourrait respectivement voir l'incarnation de la Science-Fiction, de la littérature générale et de la Fantasy ? Ralph, celui qui marche parmi nous. C'est un comédien, un comique qui prétend sans relâche, sur scène ou dans les coulisses, venir du futur, en qui Texas Jimmy croit, pour qui Dexter D. écrit, sur l'image de qui Amanda travaille.

Ralph serait venu pour tenter d'aider l'Humanité à réussir sa crise de croissance. Pour que l'avenir soit radieux, il lui faudrait faire passer un message d'alerte, et quoi de mieux pour ce faire que l'heure de plus grande écoute à la télévision ? Il va donc faire carrière tout au long du livre pour arriver à ses prétendues fins, non sans quelques problèmes car les tenants de l'avenir sombre, de qui on doute finalement moins, ont aussi envoyé leur émissaire, une forme de parasite de l'esprit qui s'est emparé de…

… Foxy Loxy, serveuse quasi S.D.F. et sur la frange du chômage avant de sombrer dans la misère et la prostitution, et qui se découvre soudain l'envie de planter un couteau dans le fucking bide de ce fucking bâtard qu'elle entrevoit fucking parfois sur le fucking poste de télé dans certains fucking magasins…

L'intérêt principal de ce livre pour l'amateur de Science-Fiction ne réside cependant pas dans ce qui précède. L'Humanité en marche vers le suicide ? La patrouille du temps ne sachant quoi inventer pour la tirer de là ? Les forces des ténèbres qui aimeraient finalement bien que l'on n'allume pas la lumière ? Ce n'est pas vraiment nouveau… et la façon dont l'émissaire futur s'y prend, qui nous permet de redécouvrir les milieux ennuyeux et assommants de la télévision et du spectacle, où ce qui est dit “mauvais” n'est manifestement pas vraiment différent de ce qui est déclaré “génial”, laisse peu de place au suspense, d'autant plus que celui-ci n'est pas entretenu : qui est vraiment Ralph ? Vient-il vraiment de l'avenir ? Il nous est dit à de nombreuses reprises que cela ne changeait rien, que cela n'avait pas d'importance, et finalement on y croit et on finit par s'en foutre effectivement, ce qui ne sert pas l'intrigue, déjà que l'avenir de l'Homme ne nous concernait pas vraiment… Spinrad dit un peu partout, dans des articles ou des entretiens, que ce roman, qu'il considère comme son meilleur, a une certaine importance culturelle, que c'est une sonnette d'alarme à ne pas négliger. Pour le lecteur normal, effectivement, elle n'a peut-être pas encore sonné — il faudrait dans ce cas, pour qu'il l'entende, packager en littérature générale afin qu'il ait une chance d'acheter et de lire, ce qu'il ferait certainement sans s'apercevoir qu'il s'égare, qu'il déchoit, qu'il fraye avec un mauvais genre.(2) Dans ces rayons généralistes, le fan de SF saurait bien, lui, l'y découvrir de toute façon, et il s'y délecterait alors d'autre chose : de la réflexion de Spinrad sur ce que c'est vraiment que d'être un écrivain ou un amateur de Science-Fiction, sur la position et le rôle social de l'un et de l'autre, sur l'image de l'un pour l'autre et réciproquement. Le premier roman de méta-Science-Fiction ? Sans aucun doute le meilleur :-)

Dominique Martel → Keep Watching the Skies!, nº 35, février 2000

Lire aussi dans KWS une autre chronique d'Il est parmi nous par Pascal J. Thomas


  1. En 2002. — Note de Quarante-Deux.
  2. C'est ce qui sera fait en 2009 pour la première édition française. — Note de Quarante-Deux.

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