KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Alain Mamou-Mani : Forces majeures

roman de Science-Fiction, 1999

chronique par Éric Vial, 2000

par ailleurs :

Cela commence comme un roman de politique-fiction tout à fait ordinaire. Un président de la République nouvellement élu est assassiné lors de la conférence de presse qui suit la garden-party du 14 juillet, alors qu'il allait s'attaquer à quelque multinationale. Pour l'air du temps et justifier le sous-titre (roman vert), on est dans un avenir — très — proche où la température commence à sérieusement monter : catastrophe écologique à l'horizon. L'assassinat est caché au public. Le temps d'enquêter. De manœuvrer, surtout.

La présentation de la situation politique vaut qu'on s'y arrête : le gouvernement est manifestement de gauche, après un effondrement du PS reconstitué en “parti progressiste” sous la houlette d'un parfait inconnu, mais avec un certain Weber à la présidence du sénat — l'homonymie avec un fabiusien réel doit sans doute peu au hasard. D'autres partis sont cités : les Verts ; “Vive la République”, peut-être chevénementiste ; et “les Nouveaux Franciscains de Jacques Gaillot”. Le parti dominant, lui, est nouveau et s'est construit autour du président assassiné, à partir d'un groupe d'amis, étudiants à Nanterre en 68, sur le modèle explicite des “treize” de Balzac. Un groupuscule qui a réussi, en proposant quelque chose de neuf dans un moment de crise profonde, marqué par un terrorisme d'extrême-droite. Feu Edgar Faure disait qu'il est difficile de faire des prédictions, surtout lorsqu'elles concernent le futur. Les remerciements de l'auteur laissent entendre que la rédaction de son court roman s'est assez largement étalée dans le temps ; on peut se demander si l'essentiel du cadre n'était pas fixé un peu avant les dernières présidentielles, ou avant certaine dissolution aventureuse. Ce qui semble être les tendances d'un moment peut quelques mois ou quelques années plus tard apparaître comme plutôt saugrenu. Et on ne parle plus guère de monseigneur Gaillot. Reste qu'inversement, le fait qu'une situation ait beaucoup changé en peu de temps laisse bien des libertés pour imaginer qu'elle puisse encore changer. Le problème n'est en fait pas là, mais dans ce parti-champignon, né de rien, d'un groupe d'hommes et de femmes déterminé(e)s. Il y a là assez peu de réalisme. Et Berlusconi n'est pas un précédent plausible, tant Forza Italia est appuyé sur un pouvoir audiovisuel préexistant, et sur des réseaux d'amitiés politiques. Il y a là une façon de sous-estimer les inerties qui est loin d'être antipathique, mais qui est sans doute naïve. On dirait qu'on serait, sinon les maîtres du monde, du moins les maîtres de la politique française, ce qui est un début.

Baste. Comme dirait Sempé : « Rien n'est simple. ». Et « Tout se complique. ». La boulangère de Médan, une des personnes tirées au sort pour interroger le président, n'était pas ce que l'on croyait. D'ailleurs, il n'y a pas de boulangerie à Médan. Le policier qui aide le conseiller présidentiel autour duquel tourne le récit n'est pas non plus ce qu'on croyait. Mais là, on est dans le rebondissement “normal”. Dans le polar pas plus mal ficelé qu'un épisode de feuilleton télévisé. Mais, ce qui nous intéressera peut-être plus ici, le mort non plus, le président donc, n'est pas ce qu'on croyait. Il ressuscite, ce que ni Mitterrand ni Giscard n'ont pu faire. Ni même de Gaulle. Il était équipé de puces électroniques. Son cœur et son cerveau étaient contrôlés. Une batterie solaire, dans un de ses yeux, en changeait légèrement la couleur, et alimentait l'appareillage. C'était sinon un robot, du moins un cyborg. Et ce pour la meilleure des causes possibles : il s'agissait non seulement de sauver un homme victime accidentellement d'un grave traumatisme cérébral, mais d'imaginer — de fabriquer — un homme politique qui ne se laisse pas aller à l'ivresse du pouvoir, qui reste intègre, etc. Là encore, on peut souligner quelque naïveté. Et peut-être même un chouïa de quelque chose que des méchants appelleraient poujadisme. Reste que l'idée n'est pas inintéressante. Et que si elle n'est pas très aboutie, ni très développée, si on peut même se demander s'il était possible qu'elle le soit davantage sous peine de faire apparaître failles et contradictions, le roman est assez rapide, assez bref en fait, pour que tout fonctionne, que les suspenses s'enchaînent, que les “révélations” soient acceptables, qu'on marche.

On ne va pas crier au chef-d'œuvre mais, sorti par hasard des bacs d'un bouquiniste, lu pour voir ce qui pouvait être commis comme “politique-fiction”, ce roman peut se retrouver sans scandale chroniqué dans KWS. Et ce n'est déjà pas si mal.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 35, février 2000

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