KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Laurent Kloetzer : Mémoire vagabonde

roman de Fantasy, 1997 & 2001

chronique par Jean-Louis Trudel, 1999

par ailleurs :

Un rêve, un merveilleux rêve… Quand Jaël se réveille en ce matin qui met fin à ses aventures, il a vécu une plongée dans ces profondeurs où les émotions comme l'amour, le remords ou la peur de n'être plus soi confinent à la démence à force d'intensité…

Mais ce qui a la force du rêve doit nécessairement en avoir les faiblesses. L'auteur a choisi de s'inspirer d'une chanson du groupe Noir Désir, qui (moyennant quelques adaptations) est devenue une sorte d'énoncé du destin de Jaël. S'il réussit magnifiquement à nous faire partager les angoisses de l'existence onirique de Jaël dans la cité de Dvern, Kloetzer s'épuise à comprimer dans le même cadre la réalisation de toutes les promesses contenues dans la chanson de Jaël. En traitant celle-ci comme un programme incontournable, il surcomplique l'intrigue et l'enrichit de digressions et de péripéties d'une pertinence douteuse. Ainsi, le dernier voyage de Jaël laisse malgré tout en suspens deux données de l'intrigue qui auraient mérité un meilleur sort qu'un bannissement arbitraire hors de la vue de Jaël.

Mais c'est un roman qui obéit surtout à la logique des rêves et des cauchemars. Mieux vaut ne pas l'analyser trop à fond ou serrer de trop près certaines contradictions internes. Nous sommes dans une fantaisie courtoise qui doit autant (sinon plus) à Guy Gavriel Kay qu'à Alexandre Dumas ou Théophile Gautier. L'hybridation de la Fantasy et du genre très français qu'est le roman de cape et d'épée est fort réussie, troublant les eaux limpides du romanesque d'antan avec ce qu'il faut de sexualité et de fantastique pour leur conférer une âme un peu plus sombre…

D'ailleurs, c'est cette ambiance glauque et indécise, particulière aux matins d'ivresse, alors qu'on rêve d'entamer une autre vie sans jamais quitter son lit, qui fait tout le prix de Mémoire vagabonde.

Jaël, englué dans les rets de personnages divers et fascinants, n'aura pas de trop de ses talents d'épéiste (ou de ceux de son double appelé Jaël de Kherdan) et de son charme de beau parleur pour se tirer d'affaire. Il commence par démontrer une insouciance et un primesaut qui font sourire, mais il va basculer peu à peu dans de douloureux questionnements.

En fin de compte, Kloetzer a rassemblé les fragments d'un roman, sans pour autant trouver la colle nécessaire pour les faire tenir ensemble, telles les séquences successives d'un rêve dont on ne s'aperçoit qu'après coup qu'elles n'avaient aucun lien logique. Mais ces fragments mal agglomérés sont parfois de toute beauté, splendides et cruels à couper le souffle, touchants et immanquablement chatoyants.

L'aventure n'est-elle pas faite d'un tel alliage de faux départs et d'envolées inattendues, de culs-de-sac et de routes qui ne finissent jamais ? Si vous le croyez, friands d'aventures, tendez l'oreille pour écouter la chanson de Jaël…

Jean-Louis Trudel → Keep Watching the Skies!, nº 33, août 1999

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