Richard Canal : la Route de Mandalay
roman policier, 1998
- par ailleurs :
Patrick et Sarah Vergnes sont propriétaires d'un hôtel au Sénégal. Un hôtel qui végète, frôle la faillite, et les entraîne dans une spirale gluante de désespoir mou et d'alcoolisme. Un seul pensionnaire dans les bungalows, Pierrot, qui ne fait rien et parle encore moins — normal, quand on est un tueur professionnel mis au frais en Afrique, et dont les employeurs cherchent à se débarrasser définitivement. Un jour se présente l'occasion du coup de folie, du quitte ou double pour les arracher au piège ou les condamner à mort : braquer la banque dans laquelle le couple n'a même plus les moyens de maintenir son compte…
Parler de “roman noir” pour un livre dont l'action se situe à Dakar pourrait tenir de l'humour de piètre niveau, et c'est pourtant de cela qu'il s'agit. Pas de mystère, guère de rebondissements, seulement une irrémédiable glissade vers l'abîme. L'atmosphère a sans doute une dette envers des modèles cinématographiques, et américains. Substituez au Sénégal le Sud profond ou les ghettos de Los Angeles, gardez les Blancs et les Noirs, gardez la dialectique entre les petits bourgeois poussés au crime par l'échec, et le vrai criminel qui méprise les amateurs, et vous pourriez vous retrouver dans un film des frères Coen, disons.
Les seules touches de suspense et de gaîté viennent des personnages sénégalais. Des policiers qui provoquent le rire à tous les coups, jusqu'à l'inspecteur Ndiaye, déchiré par l'agonie de son fils atteint du sida. Mais même sa rage désespérée — contre ses supérieurs qui étouffent les affaires, contre la colonisation, contre la maladie incurable qu'il fantasme comme un autre mauvais coup des Blancs — a infiniment plus de vie que la trajectoire ensablée du couple Vergnes.
Canal évoque un univers très dense en peu de pages. On lui réclamerait volontiers de nouvelles enquêtes de l'inspecteur Ndiaye et son incapable d'adjoint, Badiane, impayable rasta amoureux du beau style pour la rédaction des rapports. Bien entendu, Canal a l'avantage de vivre au Sénégal, ce qui lui donne sur le pays un regard dépourvu d'exotisme (pour un auteur français). S'il y a pourtant une morale au livre, explicitée au détour d'un chapitre, c'est que les Blancs n'ont rien à faire en Afrique. Leur présence est mauvaise pour le continent et pour eux. Surprenant, au regard du choix de vie de l'auteur ; surprenante aussi l'effrayante description du personnage de Sarah, trop proche pour être confortable. Comme si Richard Canal évacuait avec ce livre une face obscure de sa vie. Un livre indispensable, donc, pour ceux qui s'intéressent à l'auteur, mais pour tous les autres un excellent roman noir, peint sur un fond aussi vivant que bien possédé.
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