Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Paul McAuley : the Quiet war

roman de Science-Fiction, 2008

traduction française en 2010 : la Guerre tranquille

Ellen Herzfeld, billet du 20 novembre 2011

par ailleurs :
 

The Quiet war est un roman de SF très classique. Du space opera d'aventures, à la sauce thriller. Des courses poursuites autour de Saturne ou Jupiter, et d'une lune à l'autre. L'intrigue raconte les diverses luttes pour le pouvoir, essentiellement entre la Terre et ses ex-colonies, les Outers (traduit par Extros) qui ont pris le large à l'occasion de multiples conflits des dizaines ou des centaines d'années avant les événements du livre, et aussi pour la prééminence d'une faction terrestre ou Extro sur une autre.

Sur Terre, le Grand Brésil contrôle toutes les Amériques, les autres puissances politiques et économiques étant l'Europe et l'Asie et les pays du Pacifique. Partout, les grandes familles tiennent le pouvoir, et ceux qui ne sont pas “du sang” ne sont que citoyens de seconde zone, utilisés et manipulés comme des pions. L'objectif commun consensuel est tout de même de restaurer la Terre à son état plus ou moins pré-industriel, ou du moins à une situation écologique acceptable, ce qui n'est pas une mince affaire après les siècles du pétrole et ceux du changement climatique, assortis de conflits à répétition. Les familles ont d'ailleurs leurs “Saints verts”, qui sont les scientifiques qui ont mis au point les méthodes pour tenter de réparer tout ça. On tient aussi à sauvegarder le génome humain à peu près en l'état, et toute transformation un peu radicale nécessitant des manipulations génétiques profondes est mal vue.

Par contre, les colonies extérieures dispersées à travers le système solaire ont pris leur indépendance et forment une société morcelée beaucoup moins conservatrice ; certains groupes parmi les plus jeunes sont même favorables à un posthumanisme sans limites. On y pratique une démocratie très directe et un peu anarchique, dans des cités-états sans politique unifiée. Les manipulations génétiques sont la norme, voire la nécessité pour survivre dans des conditions parfois très différentes de celles de la planète d'origine.

Il y a les factions pour la guerre et d'autres pour la paix, tant sur Terre que sur les colonies, chaque groupe ayant des atouts scientifiques et techniques qui intéressent l'autre. Au début de l'histoire, les tenants d'une collaboration pacifique tiennent encore les rênes, mais rapidement l'autre camp prend le dessus et manifestement le conflit sanglant ne pourra être évité. On suit donc une série de personnages : des pilotes terriens profondément modifiés pour s'unir totalement à leur vaisseau ; des clones conçus pour être des soldats hyperperformants ; des scientifiques atteignant au génie, surtout Sri Hong Owen de la Terre, et Avernus, sa rivale enviée, chez les Extros, toutes deux consumées par leur passion à sculpter le vivant, à adapter la faune et la flore aux conditions extrêmes des géantes gazeuses et de leurs lunes ; un diplomate particulièrement sournois mû uniquement par ses intérêts et sa carrière ; des généraux et des politiciens sans scrupules ; et quelques petites gens de tous bords, militants pour la paix ou pour la guerre, ou pour leur folie personnelle.

Tout n'est que traîtrise, manipulations, situations kafkaesques et à retournement où toutes les solutions sont mauvaises, et où tous les personnages sont soit utilisateurs soit utilisés, souvent les deux en même temps.

Des courses poursuites, des bagarres et des batailles, des voyages à travers des paysages lunaires d'origine ou modifiés décrits avec un souci du détail hard SF crédible et même vraisemblable. Une grande importance est accordée à la végétation génétiquement adaptée à survivre dans le vide et aux multiples technologies nécessaires pour permettre aux humains de vivre sur les lunes de Jupiter ou de Saturne dans des conditions qui semblent parfois même idylliques — quoique forcément fragiles — sous des dômes gigantesques où ils ont développé un biotope charmant, de campagne, de rivières et de jardins. Le fait que l'auteur soit botaniste de formation n'y est sans doute pas pour rien.

Certains personnages auraient probablement pu être plus intéressants, si j'avais pu apprendre à les connaître un peu, autrement que par leurs aventures à jet continu. Ils n'ont que peu le temps de penser, et le lecteur non plus. Beaucoup d'entre eux sont plutôt antipathiques et ne se posent pratiquement pas de question sur le bien-fondé de leurs actions. Ils sont “tout là” comme ont dit, sans aucun second degré. Des personnalités tout d'un bloc, qui foncent droit devant. Rien de très subtil, dans l'ensemble.

Heureusement, il y a un clone génétiquement modifié et complètement endoctriné, Dave nº 8, envoyé comme espion par la Terre sous l'identité fictive de Ken Shintaro, né sur Callisto, pour noyauter et saboter Paris, une ville importante de Dioné, une lune de Saturne. Il s'est toujours senti “différent” de ses “frères” et a quelques doutes sur ses capacités. Manifestement, il n'est effectivement pas tout à fait au point, car tout en accomplissant sa mission, il va peu à peu totalement s'identifier à ce Ken qu'il fait semblant d'être. Et tomber amoureux à sa façon d'une fille bizarre qui semble plus psychotique qu'autre chose. Il y a aussi Macy Minnot, ingénieur écologiste dans un projet de collaboration entre la Terre et les Extros sur Callisto qui tourne mal. Malgré son destin chaotique depuis l'enfance, elle ne semble avoir que des bonnes intentions et le désir de rester fidèle à elle-même envers et contre tous. Sans ces deux-là pour m'accrocher, je ne serais pas arrivée au bout des plus de quatre cents pages qui ne constituent en fait que la moitié de l'histoire (l'autre étant Gardens of the Sun, non traduit à ce jour). Mais ça a été tout juste, vraiment.

Ce n'est certes pas un “mauvais” livre — d'ailleurs, les critiques dans les magazines anglo-saxons étaient dans l'ensemble très positives —, mais il y avait trop de grosses ficelles de thriller et de cinéma d'aventure à grand spectacle et pas assez de réflexion philosophique ou psychologique à mon goût. Et même les scènes de grand space opera n'ont pas le vent cosmique et ne déclenchent pas le sense of wonder que j'apprécie (et que je trouve presque toujours dans les livres de Stephen Baxter). J'ai même l'impression d'en trouver parfois plus dans les textes de vulgarisation d'astronomie que je lis régulièrement !

Vais-je tenter de lire la suite ? Je ne sais pas encore. Sans doute…

Ellen Herzfeld → dimanche 20 novembre 2011, 13:53, catégorie Lectures

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