Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Cory Doctorow : Little brother

roman de Science-Fiction pour la jeunesse, 2008

traduction française sous le même titre en 2011

Ellen Herzfeld, billet du 10 juin 2009

par ailleurs :

Little brother de Cory Doctorow est sur la liste des présélectionnés pour le prix Hugo de cette année ; je l'ai donc lu afin de pouvoir voter à la convention mondiale de Montréal.

Comment parler d'un livre qui a manifestement plein de qualités mais qu'on n'a pas eu plaisir à lire ?

C'est l'histoire de Marcus, un adolescent qui habite San Francisco, bien technophile comme il se doit, qui se trouve par hasard embarqué, dans les suites immédiates d'un attentat terroriste, par le DHS (Departement for Homeland Security), service gouvernemental spécialisé créé après le 11 septembre. Il est enfermé, de même que les quelques copains avec qui il était, dans une prison clandestine où il sera traité comme un criminel, interrogé pendant des jours, torturé puis enfin relâché avec comme consigne de ne jamais parler à personne de ce qu'il a vécu, sous peine de…

Une fois dehors, il se rend compte qu'un de ses amis n'a pas été libéré, et que la ville est aux mains d'une bande de paranos officiels qui se croient tout permis du fait qu'ils sont en place par la volonté du gouvernement. Il y a eu des milliers de morts par l'attentat et les adultes, dont son père, considèrent que l'état policier est un mal nécessaire. Ce n'est pas l'avis de Marcus et de ses copains. Il va donc décider de tout faire pour contrer les agissements du DHS, et il en a les moyens car lui et ses petits camarades de lycée maîtrisent aussi bien voire mieux que les adultes toutes les finesses de l'internet, des gadgets électroniques de surveillance et des réseaux parallèles. Mais ce n'est en rien une histoire de superhéros, ni un conte merveilleux. Marcus prend des risques et il en paie le prix, dans un monde où les gentils ne gagnent pas nécessairement et où les méchants peuvent tout à fait s'en sortir sans punition.

C'est un livre ouvertement politique et polémique, un véritable pamphlet contre la surveillance à outrance des citoyens sous prétexte de les protéger de menaces fantômes, contre les pouvoirs exorbitants donnés à des instances de répression qui ne sont plus elles-mêmes contrôlables. Bref contre le terrorisme d'état qui s'infiltre partout et en particulier dans les écoles où les jeunes, sauf les plus ostensiblement dociles — appelons-les carrément les collabos — sont systématiquement vus comme des criminels en puissance. C'est aussi un texte didactique, qui n'hésite pas à expliquer, en termes clairs, certains éléments très techniques (la cryptographie, l'analyse statistique bayésienne). Il y a de nombreux passages qui rappellent les fondements de la constitution américaine, sa lettre et son esprit. C'est un appel direct au militantisme en faveur du respect de la vie privé — il précise par exemple comment et pourquoi il faut éviter de répandre sur l'internet certaines informations personnelles, sur lesquelles on perd alors tout contrôle. Il évoque le délit de faciès qui fait qu'il est plus facile pour un blanc de faire de la résistance que pour quelqu'un d'un tant soit peu basané car il est moins surveillé et s'il est arrêté, il risque moins. Je pourrais continuer longtemps. De plus, c'est assez bien écrit, l'histoire est prenante, les personnages sont vivants et crédibles.

Bref, que du bon, il n'y a aucun doute. D'ailleurs, c'est intéressant de constater qu'un livre aussi subversif n'a pas fait l'objet de tentatives de censure. Mais là je m'avance, peut-être que ça a été le cas et que je n'en sais rien. De toute façon, il est librement accessible et gratuit sur l'internet depuis sa publication (comme tous les romans de Doctorow).

Oui, il faut que les jeunes lisent ce livre — c'est d'ailleurs plutôt ce créneau de lecteur qui me semble visé — qui leur explique plein de choses importantes et qui leur montre pourquoi ils se doivent de comprendre la société dans laquelle ils vivent et aussi de maîtriser un minimum l'outil informatique qui imprègne, qu'on le veuille ou non, notre quotidien. Car à défaut, ils seront facilement manipulables et maintenus dans un état de soumission béate par les gouvernements (quels qu'ils soient) qui ont aisément la tentation tyrannique. Certes, la situation en France n'est pas — encore — comparable à celle des USA ou de l'Angleterre, mais nous avons une fâcheuse tendance à copier leurs pires idées, avec un retard parfois de cinq, dix ou vingt ans (ça semble se réduire de plus en plus) au point de mettre régulièrement en place des stupidités dont eux sont déjà revenus…

Le problème est que, vraiment, ce n'est pas du tout ce que, moi, j'ai envie de lire le soir à la veillée. Ce sont des domaines qui m'intéressent et que je suis plus ou moins par ailleurs, donc ce n'est pas le sujet lui-même qui m'a paru rébarbatif. C'est surtout que j'avais l'impression de regarder les actualités tellement c'était vraisemblable, tellement c'était crédible et ancré dans notre monde d'aujourd'hui. Et c'est ça qui m'a gâché le plaisir.

Donc, oui, c'est un excellent livre, subversif à souhait, à mettre entre les mains de tous les adolescents (évidemment, pour le moment il faut qu'ils lisent l'anglais).(1) Mais je crains que dans dix ans, il soit, sur le plan technique, complètement obsolète et sans doute, de ce fait, illisible. Pour cette raison, à mon avis, il n'a rien à faire comme présélectionné pour le prix Hugo, encore moins comme gagnant.


  1. Depuis l'écriture de ce billet, en 2009, le livre a été traduit et publié en Pocket Jeunesse. Voici donc un joli cadeau éducatif, qui joint l'utile à l'agréable, à faire à un ado ou même un pré-ado de vos connaissances. Rien ne vous empêche de le lire avant, bien sûr.

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