Carnet de Martinique Domel, catégorie Général

Réduction du paquet d'onde

Martinique Domel, billet du 17 janvier 2006

Il arrive parfois, lors d'un travail bibliographique, que l'on n'ait à sa disposition que des indications vagues pour l'origine d'un texte. Par exemple, un universitaire se spécialisant dans l'à peu près littéraire, ce qui est somme toute fort courant, vous informe qu'il a vu quelque chose d'intéressant, mais il ne sait plus quoi ni où ni de qui… Il confond de plus le numéro du fascicule avec le quantième du mois, et, pour parachever le tout, l'année avancée paraît également fortement improbable…

Que faire face à une telle situation ? Toujours de bon conseil, c'est Greg Egan qui nous sauve, plus particulièrement dans Isolation, en nous conseillant d'avoir recours à la mécanique quantique pour réduire le paquet d'ondes en notre faveur. Ça a l'air compliqué en théorie mais, en pratique, il suffit tout bonnement de s'avancer globalement dans la direction vaguement indiquée par l'informateur, d'ouvrir un livre au hasard parmi ceux qui traînent là, et voilà, c'était ça, c'était là.

Mais parfois, la réduction ne s'opère pas dans le sens souhaité. Ainsi, notre bibliographie des textes courts de Michel Jeury, en ligne depuis des années sur la toile, contenait une faiblesse déshonorante en 1984, pour une nouvelle supposément titrée sur manuscrit "la Grand-mère du jour", parue dans un journal qui s'appelait le Matin ou le Soir. Tout ce qui nous avions de certain, c'était une photocopie illisible un peu mal cadrée où l'on voyait surtout l'illustration, et qui nous confortait cependant dans l'existence effective de l'objet recherché, ce qui est, dans ce contexte, quand même la moindre des choses.

Déterminer le moment de la journée incriminé, au lever ou au coucher du soleil, ne fut pas simple mais, vers 1984, la réponse la plus probable était le Matin de Paris, et non le Soir de Bruxelles. Ce d'autant que, après vérification, la position générale des filets de mise en page semblait tout à fait correspondre sur la période. Il n'en restait donc plus que trois cent soixante-cinq à feuilleter. À Beaubourg, ou à la Bibliothèque nationale, c'est possible mais par où commencer ? Selon gregegan, n'importe où. C'est donc ce que nous avons fait : février. Mais là, surprise, rien qui ressemble immédiatement à l'objet de nos désirs. Nous avons donc poursuivi jusqu'en septembre, lorsque la mise en page du journal change, pour revenir sur janvier et nous retrouver finalement bredouille :-(

Et puis, en y réfléchissant, on s'aperçoit que toutes les années ne sont pas nées égales. 1968, par exemple, déborde largement sur le début des années 70. Quand pouvait-on donc parler avec insistance de 1984 pour une certaine affaire Orwell ? Quand pouvait-on penser qu'on y était de plain-pied, tout en se trouvant ailleurs ? Mais juste avant, bien sûr, quand nous avions encore affaire à une anticipation, et pas encore à une uchronie. Un survol de novembre et de décembre 1983 s'imposait donc, et "Tolstoï t'emmerde" a finalement été déniché mais, vraiment, vraiment, dans la toute dernière phase, le 29 décembre, quand l'espoir était pratiquement réduit à néant, méritant ainsi, on le remarque, parfaitement bien le titre imposé par la rédaction.

Gregou, sur ce coup-là, tu n'as pas été sympa.

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