Carnet de Martinique Domel, catégorie Général

Fantasy à particule

Martinique Domel, billet du 9 octobre 2005

Si on laisse traîner l'oreille dans les locaux de la librairie Scylla, pour espionner les conversations des amateurs de Fantasy, on s'aperçoit qu'ils insistent souvent sur l'immersion totale que ce genre leur procure : dans tel ou tel texte, ils ont vraiment eu l'impression d'être un troll, dans tel autre, la magie était vraiment à leur service, etc. Ce besoin d'identification se confirme à la lecture des chapôs introductifs des textes dans les anthologies spécialisées, chez Nestiveqnen, l'Oxymore, Parchemins & traverses ou autres, pratiquement toutes cataloguées dans exliibris. D'abord, comme dans un jeu de rôle, les auteurs présentés utilisent souvent des pseudonymes en rapport avec leurs textes et à forte résonance nobiliaire ou mythologique ; ensuite, leur vie personnelle et leur psychologie particulière sont souvent évoquées sur un mode fictionnel, presque affabulé : on a l'impression d'avoir affaire à des êtres plus grands que soi, d'un autre niveau d'inconscience, perdus et exilés chez les Hommes leurs lecteurs, et quand on les connaît personnellement, on est parfois surpris d'être manifestement passé à côté de tant de magnificence. Un exemple : « À l'orée de la forêt ancestrale, Denys de Bondeville et Izlindir se sont retrouvés pour couler leur âme dans l'obsidienne de ce parchemin. Laissant éclater leur cœur d'amour infini et pour notre plus grand émoi, ils parsèment de magie les pages qui suivent où l'on retrouve leur héros Vivie'n, toujours en apprentissage sur les terres du Baron Noir. ». Sommes-nous d'accord : Denys de Bondeville et Izlindir sont les auteurs du texte, et Vivie'n n'en est que le personnage, mais cela pourrait parfaitement être l'inverse… Si le texte était de Science-Fiction, on aurait lu : « Plombier-zingueur dans le sud de la France, Roger Martin échappe à son quotidien quelque peu aliénant en écrivant des textes spéculatifs où il réfléchit sur la place du labeur dans nos sociétés hypermécanisées. Le texte que nous vous présentons ici, comme à son habitude dans la grande variété de son inspiration, redéfinit quelques notions que nous pensions pourtant bien acquises. ». On peut se demander s'il serait possible d'introduire de manière aussi impliquée qu'en Fantasy un texte SF, et on y parvient en fait assez facilement dans le cadre d'un cycle ou d'un sous-genre bien balisé : « Enfourchant sa fusée transluminique, RogM nous transporte encore dans les lignes qui suivent sur les rivages galvaniques de l'empire Gris. Se mettant en scène lui-même, RogM parvient cette fois enfin à briser la secte désoxyribonucléique. ». Mais ça fait un peu ridicule, alors qu'en Fantasy ça passe à peu près et on se demande pourquoi.

Commentaires

  1. Emmanuel Civililundi 16 novembre 2015, 08:42

    En lisant les chapôs et la postface de l'anthologie 42 chez Parchemins & Traverses, je me suis souvenu de ton vieux billet et j'ai peut-être un début d'explication pour toi.

    On y lit en effet en introduction des nouvelles, toujours avec comme héros l'auteur du texte qui suit, des choses comme :

    « les Klingons encadraient le petit homme en noir dans l'obscurité de la ruelle »

    « c'était pendant l'horreur gibbeuse d'une profonde nuit cyclopéenne aux tréfonds marmoréens d'une banlieue indicible »

    « après leurs ébats, la femme cyborg ouvrit à demi ses yeux de rubis noir et dit à la robote »

    Etc.

    Je me suis alors demandé si, indépendamment du genre concerné, les anthologies où tu as constaté ce phénomène étaient dirigées par une personne qui écrit elle-même par ailleurs, qui n'est pas allée jusqu'à inclure un de ses propres textes au sommaire et qui en ressent toutefois une sorte de frustration. Si c'est le cas, il s'agirait alors pour elle, de manière invasive mais discrète et sans doute inconsciente, d'un moyen d'insérer quand même un peu de sa propre fiction sans pour autant offrir le flanc à la critique.

    Une crypto nouvelle éparpillée dans le livre, en quelque sorte :-)

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