Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

David Cronenberg ; Howard Shore ; David Henry Hwang : la Mouche

(the Fly, 2008)

opéra d'après la nouvelle de George Langelaan

Philippe Curval, billet du 17 juillet 2008

par ailleurs :
L'opéra qui fait mouche
 

La Mouche est un plaisir solitaire, c'est pourquoi je vous en parle avec un peu de retard. De façon à ce que vous ne puissiez voir son dernier avatar, au Châtelet. Non, je n'ai pas le goût de frustrer qui que ce soit. Le seul problème c'est qu'il n'y a eu que cinq représentations de the Fly en juillet et que les places pour celles-ci étaient déjà louées depuis quatre mois. D'ailleurs, lors du spectacle, j'ai été conforté par la présence d'amateurs de SF venus de Londres, de New York ou de plus près.

D'abord, aimez-vous l'opéra ? un peu beaucoup, passionnément, pas du tout. J'opterais personnellement pour “pas tellement”. Mais enfin, dans l'ex-temple des marionobourvileries, une mise en scène de David Cronenberg, sur une musique de Howard Shore qui a composé celle du deuxième film, ça ne se refuse pas. Si nous n'avons pas été transportés, Anne et moi, nous n'avons pas été déçus. Car le livret de David Henry Hwang reprend la nouvelle de George Langelaan avec beaucoup de fougue et d'esprit, oscillant entre le drame et son commentaire, la distance, l'humour, le lyrisme et la pertinence du discours. Donc une nouvelle interprétation du scénario qui donne la part belle à la chair et à sa transmutation. Dans sa mise en scène, Cronenberg se délivre avec jouissance de ses obsessions viscérales en les revisitant.

Pour décor unique, une large console animée de lumières, pourvues de tableaux de bord comme on en voyait dans les films des années cinquante et les deux cabines de télétransportation qui clignotent et qui fument lors des expériences, s'ouvrent sur des marionnettes animées absolument parfaites de singes éviscérés ou de monstres subclaquants du plus merveilleux effet. Effets spéciaux aussi d'acrobates jouant l'homme se transformant en mouche dans une tenue gore qui parcourt les cintres en chantant.

 

Le seul reproche qu'on puisse faire s'adresse à la musique de Shore. En soi, la qualité est irréprochable, une bonne musique de film. Malheureusement, celle-ci ne fait pas corps avec l'opéra, ne donne pas l'occasion aux chanteurs de s'exprimer à travers des grands airs déchirants dont nous eussions apprécié l'émotion vocale. Seul moment d'une grande intensité, l'une des scènes qui précède le dénouement, lorsque Ruxandra Donose — dont la voix est un bijou de précision — chante avec un lyrisme bouleversant son désir d'accoucher de l'enfant mouche que Seth Brundle lui a donné.

Pour conclure, j'avoue que l'idée d'un opéra de Science-Fiction ne m'était pas venue à l'esprit jusqu'alors, que l'opéra ne me semble pas une forme moderne d'expression. Cependant, par une sorte de miracle dû à la présence humaine, à l'intelligence de Hwang et de Cronenberg, à la qualité du jeu des acteurs, ce fut un plaisir de revoir pour la quarantième fois la même histoire. Sur scène et portée par le chant, elle acquérait une réalité fantasmatique, procurait un sentiment de terreur organique que je n'avais jusqu'ici ressenti qu'intellectuellement.

Prochaine représentation à l'opéra de Los Angeles.

Philippe Curval → jeudi 17 juillet 2008, 13:35, catégorie Musique

Commentaires

  1. un enfantmercredi 24 décembre 2008, 09:18

    Merci pour ce billet, c'est toujours intéressant de vous lire. Je me demandais cependant pourquoi cette parenthèse : « … c'est pourquoi je vous en parle avec un peu de retard. » ? :)

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