Carnet de Philippe Curval, catégorie Cinéma

J.J. Abrams : le Réveil de la Force

(the Force awakens, 2015)

long-métrage de Science-Fantasy

Philippe Curval, billet du 18 décembre 2015

par ailleurs :
Psychopathologie du navet
 

Cet après-midi, j'allais à la poste pour y déposer l'un des innombrables courriers auxquels vous contraignent des formalités sans cesse remises en cause par d'obscurs fonctionnaires tapis au fond des mairies, des banques, des mutuelles, des caisses de retraite, etc. Un homme me dépassa à dix mètres du bureau. Je l'entendis téléphoner : « Voilà, j'arrive à la poste. ». Je ne sais pas qui était à l'autre bout de la ligne. Mais il me semblait évident qu'il venait de dire à son correspondant quelques instants plus tôt : « Je vais à la poste. ». Pourquoi fallait-il qu'il lui certifie qu'il allait effectivement à la poste au moment où il y arrivait ? Peut-être pour ne pas perdre une minute de son abonnement illimité orangebouyguesfree, ce qui est, en somme, une tentative d'approche de l'éternité.

Maintenant qu'Anne est morte, je n'ai pas besoin de lui dire où je vais. D'ailleurs, avant cette date, nous n'avions pas besoin de dire où nous étions, toujours l'un près de l'autre, même séparés par des milliers de kilomètres de distance.

Aussi, quand je passai devant l'un des trois cinémas de Montparnasse qui affichaient le Réveil de la Force (Star wars, épisode 7) — le Bretagne proposait une séance à 18 h 45 ; pas de queue, une version doublée, mais vue l'importance des dialogues, qu'importe ! —, j'allai chez moi chercher l'une de mes trois paires de lunettes 3D dans le tiroir du petit secrétaire napolitain riche en peintures du xviiie siècle, et je revins. Il n'y avait pas plus de monde qu'avant. En entrant dans la grande salle où la projection est excellente, pour un jeudi, il n'y avait pas grand monde.

Ce qui me permit de m'installer face à l'écran, exactement à la distance idéale.

J'avais lu dans plusieurs news : « Un chef-d'œuvre, le meilleur Star wars qu'on n'ait jamais vu, etc. ». Bref, bien que je ne sois pas un starwasien addictif, je m'apprêtai à vivre plus de deux heures sans penser à rien, ce qui m'est indispensable pour survivre en ce moment.

De ce point de vue, on peut dire que ce film répondait à mon ​désir car, effets spéciaux obligent, on ne pense à rien, même pas à ce qui se déroule sur l'écran. Scénario vide, héros décatis, batailles galactiques incessantes, beaux décors aussitôt détruits, bestiaire extraterrestre qui n'apporte pas grande nouveauté par rapport au bar galactique de la première Guerre des étoiles que nous avions vue, duels ridicules au sabre laser, toujours moins efficaces qu'avec une simple épée. Pas un seul élément intéressant de politique, de sociologie, de poésie, d'imagination. Rien que du déjà-vu à la sauce 3D. Même la “force” semble faible aux mains du fils de Han (Yan) Solo qu'on tolère tant qu'il porte le masque de Darth Vader, mais dont la gueule inexpressive fait peine à voir lorsqu'il le retire. Et pour couronner le tout, une histoire simplette — théoriquement lacrymatoire — empruntée au folklore du roman-feuilleton du xixe siècle.

Bref, à mesure que le film se projetait, je me mis à m'intéresser à la psychopathologie du navet. On peut comprendre — et je suis de ceux qui apprécient d'admirables navets comme l'Attaque de la moussaka géante, ou la Nuit des revenants d'Ed Wood — le plaisir ressenti à la vision d'une géniale imbécillité. Mais le navet de luxe, encensé par la critique vendue aux grandes compagnies, structurellement conçu par des cadres dynamiques au service de l'industrie pour plaire à un public moutonnier, que peut-il apporter en dehors de recettes milliardaires ?

Du vide !

En cela, vous pourriez me dire que c'est une réussite exemplaire puisque le vide explique en grande partie l'univers, que nous sommes tous psychopathes en vertu de cette absurdité. Donc, que le Réveil de la force atteint la perfection puisque le film traduit notre incapacité à réagir face au néant !

Néanmoins, j'ai préféré le canard aux navets glacés que l'on m'a servi dans le restaurant d'à côté. Au moins, il y avait quelque chose de savoureux à déguster !

Philippe Curval → vendredi 18 décembre 2015, 17:36, catégorie Cinéma

Commentaires

  1. M.Périssetsamedi 23 janvier 2016, 18:54

    Bonjour,

    Je réagis seulement maintenant à votre article. Je découvre votre site, grâce à la préface de Gérard Klein dans un roman que je suis en train de lire, l'Énigme de l'univers de Greg Egan. J'ai lu quelques-uns de vos romans, d'ailleurs.

    Je partage votre avis sur le film. Le scénario est un mauvais remake de je ne sais plus lequel de la série. En plus, on ne retrouve plus le souffle épique qui a fait le succès de la première trilogie. À mon avis, les anciens personnages n'auraient dû mériter qu'une brève apparition, juste de quoi faire un passage de témoin et concevoir une histoire inédite et originale, abandonner cette histoire de rébellion et de dictature de l'empire. Je pense qu'il ne doit pas être trop difficile de trouver de jeunes auteurs qui seraient capables de renouveler cette saga. Je leur proposerais de mettre le prochain scénario au concours, mais la messe est déjà dite, on va retrouver des films de la même veine que ce dernier opus. Dommage.

  2. (JCV)samedi 13 février 2016, 21:45

    À mon avis, Starwars n'a pas grand-chose à voir avec la science fiction. Je ne veux pas relancer le débat sans fin sur la définition de la science fiction, mais enfin, dans « science fiction » il y a tout de même le mot science. Or, aucun concept scientifique n'est exploité dans Starwars.

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