Carnet de Philippe Curval, catégorie Cinéma

Rian Johnson : Looper

(Looper, 2012)

long-métrage de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 19 novembre 2012

par ailleurs :
Louper Looper ou pas ?
 

Faut-il louper Looper ? Où délirer comme la presse “in”, de Télérama aux Inrocks, en portant aux nues ce film, véritable bijou de Science-Fiction (sic), qu'ils taxent néanmoins de série B, sans doute pour affaiblir leurs louanges, en niant le budget du film, plutôt du genre blockbuster. Difficile d'accepter leur jugement, puisqu'aucun de ces magazines — dits culturels — ne sait exactement de quoi il parle, faute d'une connaissance appropriée de la littérature de SF, qu'ils dénigrent systématiquement, quand ils ne préfèrent pas l'ignorer.

Pour ma part, après le désastre de Prometheus, cette daube de luxe, je suis longtemps resté indécis avant de succomber.J'étais seul ou presque, l'autre jour aux Montparnos, cinémas de la rue d'Odessa entièrement rénovés, avec de larges fauteuils clubs qui se basculent en arrière et permettent de savourer les images sur un écran de qualité dans une position allongée (publicité gratuite). Revigoré par une sono de dernière génération, propre à vous faire éclater les tympans, comme à entendre le moindre susurrement.

Côté tympan, j'ai été comblé. Car, sans que ce soit toujours nécessaire, toutes les dix minutes environ, des appareils au design soi-disant daté 2040, gros hélicoptères, 4×4 boostés, motos volantes à turbine, explosions violentes, rafales d'armes de poing à calibre surdimensionné vous mitraillent les oreilles. Ceci, sans doute, pour délivrer la dose d'adrénaline que semblent réclamer les spectateurs.

Coté cinéma, je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai été ravi, mais agréablement diverti par un récit fort simple qui ne s'embarrasse pas de paradoxes.

Pour ceux qui ne sauraient rien de ce film, il s'agit d'une histoire de voyage dans le temps. Rien d'ébouriffant sur le plan de la nouveauté, mais plutôt bien menée. Trente ans plus tard, c'est-à-dire vers 2070 où l'on a découvert le moyen d'effectuer ce transfert, malgré l'interdiction absolue des gouvernements de retourner vers le passé, la mafia y expédie les individus qu'elle désire éliminer.

Des tueurs professionnels qui sont recrutés dans ce présent antérieur se chargent de la tâche. On les nomme “loopers”, puisqu'ils accomplissent une boucle vers le futur. Un jour, l'un des leurs — joué par un Joseph Gordon-Levitt légèrement modifié pour mieux ressembler à celui qu'il va devenir —, mandaté pour un contrat, fusille à bout portant son double vieillissant. Qui n'est autre que Bruce Willis. On se doute que le héros de l'Armée des douze singes ne compte pas se laisser faire. D'ailleurs, Bruce a paré le coup en se blindant des lingots d'argent accumulés par son jeune lui-même.

Le face-à-face qui en découle, avec toutes les répercussions qu'il implique, se révèle le motif dramatique essentiel du film.

C'est dans ce jeu de mémoires divergentes que s'exprime le meilleur de Looper. Ni l'un ni l'autre des deux hommes ne se reconnaît dans son reflet. Pulsions, fantasmes du plus jeune ne s'accordent pas aux souvenirs du plus âgé. Ce dernier sent sa raison vaciller, sa mémoire se déformer lorsque le premier lui expose ses projets, car ils ne correspondent pas à son vécu. Or, il désire le préserver pour des motivations sentimentales que son cadet n'admet pas comme siennes.

Bien que celui-ci commence à douter de sa propre personnalité, comme de son engagement. D'où surgit une animosité conflictuelle entre le Ça/Ça et le Moi/Moi de ces doubles bipolaires, dont les conséquences seront fatales.

Malgré l'habileté et la virtuosité de Rian Johnson pour éviter les explications laborieuses qui sont, comme chacun sait, l'une des préoccupations principales des réalisateurs de films de Science-Fiction, il demeure, dans la construction du récit, des points obscurs dont il faudra faire son deuil.

Mais n'est-ce pas, après tout, grâce à ces “nœuds” spéculatifs que le véritable amateur de SF trouvera plaisir à laisser libre cours à son imagination ?

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