Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Robert Charles Wilson : les Derniers jours du paradis

(Burning paradise, 2013)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 25 juin 2014

par ailleurs :
Factice-parano

Avec une certaine avidité — car Robert Charles Wilson jusqu'à présent m'a très rarement déçu —, je viens de lire les Derniers jours du paradis, paru dans la collection "Lunes d'encre".

Nous sommes en 2014, les populations du monde entier se réjouissent de célébrer le centième anniversaire de la paix universelle qui a suivi l'armistice de 1914. Car, en dehors de quelques conflits secondaires, celle-ci règne partout sur la planète. Tout baigne dans la radiosphère qui enveloppe la Terre, constituée par des cellules vivantes qui permettent toutes les formes de transmissions.

La jeune Cassie, dix-huit ans, aperçoit un homme qui l'observe à travers la fenêtre. Pas de doute, il s'agit d'un simulacre de l'hypercolonie qui cherche à l'assassiner. Soudain, celui-ci est renversé par une voiture. De ses blessures s'écoule un liquide vert. Malgré cela, sans hésiter, sans passer un coup de fil à sa tante Riss pour qu'elle ne soit pas menacée à son tour, elle réveille son frère Thomas, abandonne la maison et court se réfugier chez Léo, le fils de Werner Beck, l'un des membres les plus influents de la Correspondence Society. Ne vous inquiétez pas, nous ne sommes qu'à la page 22 ; le roman en affiche 344.

Si j'insiste sur ce départ fulgurant qui évoque la rafle des juifs durant la dernière guerre, c'est qu'il constitue le fondement et permet le développement du récit tout au long d'une course-poursuite à travers les États-Unis.

Assauts, meurtres, fuites, cachettes secrètes vont servir à mettre en place les étapes d'une lente réflexion-hésitation des différents protagonistes. Qui se révéleront plus ou moins apparentés, liés par l'énigme que constituent les mystérieux assassinats en série de personnalités importantes qui s'est produite en 2007.

Leurs craintes sont-elles illusoires, fruit d'une paranoïa généralisée qui s'est abattue sur cette société d'apparence factice ? Ou bien s'agit-il d'une réalité terrifiante qui tient du cauchemar climatisé ? À quoi sert exactement la Correspondence Society ? La paix qui règne sur Terre depuis un siècle n'est-elle qu'une illusion, une pax formicæ, c'est-à-dire un ordre semblable à celui d'une fourmilière imposée par l'hypercolonie, un “mensonge écœurant” ? d'où proviennent les sims ?

En répétant inlassablement ces interrogations, puis en leur apportant des fragments de réponse qui, s'ajoutant les unes aux autres, vont peu à peu définir les véritables raisons qui déterminent l'action de ses personnages, Robert Charles Wilson trame son roman à la manière d'une manille coinchée, un jeu où la détention des atouts peut se retourner contre leur possesseur.

Ce qui n'est pas une plaisanterie, car l'écrivain, louvoyant entre obscurité et révélations, noyant le texte sous d'incessants bavardages à tendance entomolo-philosophique, sans se soucier vraiment de créer le rythme nécessaire à ce type de construction, finit par perdre la partie.

Ce que je regrette, car l'idée générale du roman a tout pour séduire, et que le dénouement de l'histoire dans le désert d'Atacama ne manque ni d'ampleur ni de frénésie. J'y ai retrouvé, à travers ces paysages stupéfiants, l'intensité de mes impressions de voyage autour d'Antofagasta, au Chili.

En guise de dessert, je n'hésite pas à emprunter à Delfeil de Ton l'une des anecdotes dont il est si friand. Un certain Dietmut Strebe, prélevant l'ADN d'un arrière-arrière-petit-neveu de Van Gogh, puis le mixant avec du cartilage, des cellules totipotentes, des composants chimiques (?), a réalisé une “oreille biologique” ressemblant à s'y méprendre à celle que le peintre s'était coupée ; à partir d'une imprimante 3D.

En Allemagne, où elle est présentée, les visiteurs peuvent lui parler. De quoi ? On s'inquiète ! Comme celle-ci ne peut pas répondre, c'est un attrape-gogo. Voilà vraiment ce que j'appellerais une idée de Science-Fiction stupide. À propos de ce vaste sujet, il y a matière à préparer un recueil.

Philippe Curval → mercredi 25 juin 2014, 15:23, catégorie Chroniques

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