Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Léo Henry : le Casse du continuum

roman de Science-Fiction, 2014

Philippe Curval, billet du 25 avril 2014

par ailleurs :
Casse opéra

Pour lire Léo Henry, il faut avoir du plomb dans la tête pour ne pas avoir du plomb dans l'aile. En effet, quand il ne se livre pas au jeu de massacre de ses héros empruntés à de multiples références culturelles, son bonheur consiste à vous en mettre plein la vue, enfin, “sa” vue.

Donc, vous êtes invité à vous asseoir solidement au bord de ses romans, de ses nouvelles — par exemple avec de gros oreillers dans le dos lorsque vous les lisez au lit — pour ne pas basculer dans le vide sidéral de votre hébétude. Ce qui n'est pas péjoratif dans mon esprit. Simplement, j'insinue que pour s'embarquer dans un texte de Léo Henry, il faut en plus d'un cerveau entraîné, avoir les reins solides.

À moins d'imiter un critique bouillonnant d'admiration — je ne le dénoncerai pas —, faisant semblant de comprendre le roman qu'il a lu, alors qu'il s'est assis dessus par erreur.

Passées ces prémisses, propositions d'où découlent des conséquences, entrons dans le vif du sujet, un roman inédit publié en "Folio SF", le Casse du continuum. Celui-ci se présente, selon la quatrième de couverture, comme un thriller de Science-Fiction convoquant tour à tour les souvenirs d'Ocean's Eleven, de Ratinox, d'Inception, de James Bond.

Comme vous pouvez le constater, l'éditeur ratisse large. Et quand vous lirez le Casse du continuum, vous découvrirez qu'il vous trompe sur toute la ligne. Car, si ce roman est un blockbuster, dans le sens où il veut faire sauter le quartier, on ne peut pas dire qu'il soit à gros budget ni à gros revenus — bien que dans ce dernier cas je l'espère pour l'auteur —, et que les effets spéciaux sont à ranger dans votre bibliothèque.

En vedette américaine, Vostok, la tueuse impitoyable, Brescia et Octave, des casseurs réputés, Marymay, la joueuse de poker, Tabitha l'empoisonneuse, avec pour comparses Kaboom et le Rétrominot (dont on peut penser que c'est un trou noir dans le continuum).

Côté décor, diverses planètes, mais surtout Hermopolis Magna, capitale de l'Empire, où l'on peut voir, à côté de l'innommable Fosse, dans le quartier des grandes banques : « La chute des indices boursiers galactiques. La beauté des produits boursiers hypercomplexes. L'abîme de leurs structures itératives. Au trois cent dixième étage, le vent dessiner une spirale. ».

Spirale qui va emporter nos sept mercenaires réunis sur Pinta#99 par la mystérieuse Sentinelle vers une aventure exceptionnelle. Car le Noun est infecté par un virus. Il faut pénétrer au sein de son repaire ubiquiste pour lutter contre la pernicieuse infiltration d'Ozgür, le prince du crime, qui risque de mettre en péril l'organisation même de l'univers.

Pour le sauver.

Qu'est-ce que le Noun ? Léo Henry multiplie les approches. Ce n'est pas l'Empire, mais il en est l'éminence grise. Sur lui reposent tous les pouvoirs de la galaxie. Ce n'est pas un dieu ancien, mais le fruit de l'ingéniosité humaine. Il ressemble à un embryon grisâtre à l'encéphale énorme, exprime un air de profonde détresse accentué par ses gros yeux noirs et sans iris. In fine, ce n'est peut-être qu'un crapaud géant rêveur. Et les rêves de ses rêves créent probablement la réalité. Ses inspirations sont les caprices de l'univers.

Où se trouve-t-il ? Au fond d'une caserne, au cœur d'un container sous-marin ? Les choses se compliquent pour les sept mercenaires qui vont trouver devant eux des adversaires à leur hauteur, tel cet être changeant de forme et d'allure qui se révèle un agent du virus qui infecte le Noun. Ou des combats complexes contre leurs doubles qui se multiplient pour les attaquer. Des bombes qui ne se déclenchent pas parce que le temps (désarticulé) déconne.

Heureusement, le Retrominot possède un cahier vierge où il lui suffit d'écrire ce qui lui passe par la tête pour que l'histoire change de direction.

Comme d'autres l'ont suggéré à propos du Casse du continuum, son ton ne témoigne pas d'un humour ravageur, ni d'un humour noir. Léo Henry utilise un humour de détournement où les figures rituelles du space opera sont martyrisées à des fins particulières répondant aux caprices de l'auteur.

Du style TGV, il passe au style à vapeur, locomotive avec des sautes d'humeur, des arrêts intempestifs, des reprises fulgurantes. Léo Henry s'amuse de tout et surtout de ce qu'il invente. Sans problème d'ego, on peut le deviner derrière ces lignes, sautant de joie à l'idée d'entraîner le lecteur vers des épisodes qui lui surgissent soudain dans l'esprit, quitte à l'abandonner dans une joyeuse impasse au chapitre suivant.

Le Casse du continuum est un roman virtuel où tout est possible, il suffit de s'accrocher aux basques de l'auteur, se régaler de son style pugnace, pour se laisser emporter par sa fougue, surtout quand l'histoire rebondit au moment où le Retrominot déchire les pages qu'il n'a pas encore écrites.

Il court, il court, le furet, le furet du Bois joli, il est passé par ici, il repassera par là. Le Casse du continuum est un roman comptine pour les vieux enfants.

P.S. : Ah ! j'allais oublier, dans le numéro 74 de Bifrost, deux nouvelles de Léo Henry, dont l'une puise à l'histoire de la Balance, première librairie française de Science-Fiction pour qui ne le savait pas. J'y joue un rôle fantôme qui me convient. Mais le meilleur, c'est l'interview dudit Léo, vraiment excellent.

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