Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Je hais les haies

Philippe Curval, billet du 3 mai 2013

Je hais les haies. Bien sûr, jadis elles furent utiles, humbles, pittoresques quand elles séparaient les champs avant le remembrement.

Haies de charmes, de prunelliers, d'aubépiniers, d'églantiers où s'emmêlaient les ronces, le lierre, les fleurs sauvages, haies de saules tronqués le long des rivières. Les oiseaux y nichaient, les perdrix y pondaient leurs œufs à l'abri des renards, martres, fouines afin de voir éclore les perdreaux de l'année. Quand on oubliait de les tailler l'espace d'une saison, elles ombraient les chemins creux pour favoriser les ébats amoureux.

Ça, c'était les haies libres que j'aimais. Lorsqu'on vivait en trimardeur, on pouvait se coucher sur le matelas d'herbe qui les bordait, protégé du vent, les yeux fixés vers les étoiles, pour y dormir ensuite durant la nuit.

Mais la haie d'aujourd'hui, style Maisons et jardins, inutile, la haie d'apparat qui rogne les fusains, les lauriers du Caucase, les ifs, les thuyas simplement pour le plaisir de faire fonctionner son taille-haie électrique, je l'exècre. Pourquoi cette révolte soudaine ? Parce qu'un oiseau que je ne connais pas personnellement, sans doute le rouge-gorge venu à l'automne il y a quatre ans, où un merle, a chié la graine d'un troène qui s'est mis à germer tout seul dans un coin du jardin.

Grandet, je le laisse pousser comme un arbuste au lieu de le tailler et de le placer en rang avec d'autres infirmes. Et s'il s'agit d'un ligustrum vulgare, il a des chances d'atteindre cinq mètres avant moi.

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Paolo Bacigalupi : Ferrailleurs des mers

(Ship breaker, 2010)

roman de Science-Fiction pour la jeunesse

Philippe Curval, billet du 3 mai 2013

par ailleurs :

« Quel rapport avec la Science-Fiction ? » me direz-vous.

La réponse est simple : Paolo Bacigalupi.

Au moment ou la Fille automate reparaît chez J'ai lu, vrai petit chef-d'œuvre, insolent, culotté, bousculant les règles de la Science-Fiction ordinaire, voici que vient de sortir au Diable vauvert Ferrailleurs des mers où Bacigalupi rogne d'un coup toute l'admiration que j'avais pour lui.

Il s'agit d'un “roman jeunesse”, ce qui n'est pas précisé sur la première page de couverture. À l'époque où l'on demeurait mineur jusqu'à vingt ans, dès l'enfance, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, de Sade à Lautréamont, de Wells à Flaubert, de Gide à Zévaco, sans négliger l'apport de la bibliothèque rose, verte et des Tallandier bleus. C'est ainsi que l'imagination fleurit, que l'esprit mûrit sans frontière. En 2013, alors que le moindre gniard trafique sur l'internet, roman jeunesse, n'est-ce pas complètement désuet ?

Refusons donc le diktat des romans fœtus, bébé, romans petits pots, romans préado, ado, postado, jeune adulte, mûr, vieil adulte, jeune vieillard, vieillard, cacochyme, romans à lire dans la tombe.

Bon, je m'emporte inutilement contre le commerce qui triomphera toujours de la singularité des individus.

Revenons donc à ces Ferrailleurs des mers où Bacigalupi exploite son univers : après l'effondrement de l'énergie, les prévisions des climatologues inspirés se sont réalisées, l'océan a englouti La Nouvelle-Orléans comme bien d'autres villes. Plus de fuel, les pétroliers géants reposent dans les cimetières marins avec les porte-containers. Le jeune Nailer en dépouille les carcasses pour récupérer des métaux.

Rien de plus conventionnel que ce milieu de losers marginaux tant de fois décrit. Et voilà que la fille d'un milliardaire dans son “hydrofoiler” fait naufrage à deux pas. « Quel beau paquet de fric ! » se disent tous les pillards du coin ! Pour la protéger, Nailer décide de s'enfuir avec la “belle jeune fille” qui ne lui accordera qu'un baiser.

Bagarres, poursuites, tous les clichés relatifs aux pirates défilent. Ce qui donne lieu à des dialogues interminables où se noie l'action (ce qui est funeste car nous sommes en pleine mer). Puis nos héros accomplissent des métiers de merde pour survivre dans les bas-fonds. On s'ennuie ferme ! Il y a bien des mi-bêtes créées à partir de gènes de chien, de tigre, d'hyène et d'homme, mais elles ne jouent qu'un rôle secondaire. Quand le jeune héros tue enfin son père, un saligaud banal, on n'y prend même pas plaisir.

Vraiment, Paolo, réagis ! Pour regagner l'estime des lecteurs de S.F., cesse d'écrire des romans-haies où l'on aligne des phrases en prenant soin d'élaguer la moindre idée qui dépasse !

Commentaires

  1. Soleil vertmardi 21 mai 2013, 01:04

    Magnifique !

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