Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Dyschroniques

collection de courts romans de Science-Fiction, 2012

Philippe Curval, billet du 8 février 2013

par ailleurs :
Dyschroniques de nuit

Ce n'est pas tous les jours qu'on a le plaisir de voir apparaître une nouvelle collection de Science-Fiction. Le passager clandestin nous en fait la surprise avec "Dyschroniques". En publiant d'un coup quatre volumes de petit format, élégants, bien imprimés, plutôt nouvelles et novellas, dont le propos est de remettre en perspective des textes parus au siècle dernier, déjà en phase avec nos sociétés actuelles par leurs qualités spéculatives.

D'abord, l'étonnante nouvelle de Murray Leinster, "un Logique nommé Joe", qui, en 1946, date à laquelle les ordinateurs pesaient plusieurs tonnes, nous propose un état des lieux d'un monde où chacun possède un portable capable de se connecter avec des banques de données du monde entier. Ce qui est déjà une performance en soi sur le seul plan de l'anticipation, pour un écrivain né en 1896.

Mais je ne vous wikipédierai pas puisque vous pouvez le faire à ma place. Quelle émotion pourtant, quand je découvris, en 1951, le premier volume du "Rayon fantastique", l'Assassinat des États-Unis, dont l'auteur, un certain Will Jenkins, n'était autre que Murray Leinster.

Ceci n'aurait qu'un caractère anecdotique si "un Logique nommé Joe" ne se limitait qu'à prédire l'avenir avec intuition. Par son style ironique et léger, son dénouement inventif, cette nouvelle mérite de s'inscrire au panthéon de la SF.

Parue en 1968, choisie par Philippe Lécuyer qui est le directeur de cette collection, "la Tour des damnés", de Brian W. Aldiss, démontre combien cet auteur, trop souvent négligé, s'inscrit parmi les meilleurs de la Science-Fiction anglaise.

À partir d'une idée monstrueuse, enfermer des familles d'Indiens dans une énorme tour sans fenêtres, pour vérifier les effets de la surpopulation. Nourris, logés, mal blanchis, ils vont se reproduire à vitesse accélérée, constituant peu à peu une société de caste où de petits tyrans régneront à chaque niveau. À vingt ans, on devient un vieillard.

Mais, contrairement à ce que croyaient les créateurs du projet, ces damnés développent le sentiment de créer une nouvelle civilisation. Tout l'art d'Aldiss, la finesse de son écriture, la subtilité de son analyse vont éclairer d'un jour trouble ce prodigieux et terrible instinct de l'Homme : son adaptabilité et son pouvoir de développer des solutions pour survivre en n'importe quelle circonstance.

Mack Reynolds est un auteur peu connu qui, en 1962, écrivit une longue novella, "le Mercenaire", par la suite développée en trois volumes inédits en France.

À une époque indéterminée où plane encore la guerre froide, les USA ont opté pour un nouveau type de société, le Capitalisme du peuple. Qu'il soit inférieur, semi-inférieur, intermédiaire, semi-intermédiaire ou supérieur, chacun est convenablement nourri, reçoit des actions des grosses sociétés. Drogué, fixé devant sa télé, le peuple ne s'intéresse qu'aux combats sanglants de ces Compagnies qui se font une guerre incessante.

Un nommé Joe, vétéran, capitaine veut accéder au rang de supérieur en choisissant de défendre Aspirotube contre Aéroglisseur, pourtant favori, car il détient un plan secret.

Très campbellien, Reynolds, qui penche à gauche et n'a pas la plume délicate, broie du noir à propos de ce monde sans espoir où, comme en Union soviétique, chacun profite ou pâtit de la situation sociale déterminée à sa naissance.

Le plus amusant dans cette histoire, c'est de découvrir des inventions comme l'aéromobile, un véhicule qui vole et se dégonfle au stationnement.

Quant au quatrième volume, je ne vous en parlerai pas car il s'agit de ma nouvelle, "le Testament d'un enfant mort". Sachez pourtant que, malgré les apparences, c'est un texte de hard science.

Commentaires

  1. Jean-nolundi 2 septembre 2013, 10:11

    Le cas de Murray Leinster me passionne, parce qu'il montre que l'imagination est plus libre quand l'imaginaire n'est pas encombré par des représentations trop précises. En 1946, en entendant parler d'une machine à penser, Leinster a réussi à imaginer l'informatique personnelle en quoi personne n'a cru jusqu'au milieu des années 1970 : l'image d'une informatique lourde et imposante, coûteuse, s'était imposée dans l'esprit…

    J'ai traduit une nouvelle très étonnante de 1879, par un dénommé Edward Page Mitchell, "l'Homme le plus doué du monde", qui sera publiée en fin d'année et qui, dans le même genre, imagine la pensée mécanique en extrapolant les inventions de Charles Babbage.

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