Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Daryl Gregory : Afterparty

(Afterparty, 2014)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 16 octobre 2016

par ailleurs :
Drogue fiction

En voyant le livre arriver sur ma table, j'ai aussitôt pensé : Tiens, celui-là, je n'en parlerai pas. Je n'avais aucune idée de qui était Daryl Gregory et le titre, Afterparty, ne me suggérait rien car je comprends très mal l'anglais, surtout quand j'essaie de le parler.

Vous me direz, depuis un bout de temps, à part le 7 de Tristan Garcia à qui nous avons remis enfin ce mois-ci son Prix du Lundi, votre Carnet particulier est au point mort. C'est vrai, j'en supporte le poids d'un certain remords.

Le lendemain, le livre était toujours là, à portée de ma main ; je l'ai donc soupesé, en ai lu la quatrième de couverture, ai appris qu'il s'agissait du troisième roman de cet auteur frénétique et iconoclaste paru au Bélial’. De surcroît, il semblait que le sujet traitait de la religion considérée comme une drogue. Ce qui avait tout pour me plaire, moi qui suis le fondateur de la LRA, la Ligue pour le Renouveau de l'Anticléricalisme, avec Topor, Forest, Ruellan, en particulier — donc l'un de ses derniers membres actifs à l'égard de toutes les religions.

Depuis la fin de l'année précédente où Anne est morte, je lis très peu car au fil des pages ma pensée s'évade vers elle. Surtout lorsqu'il s'agit de space opera, qui semble dominer la production de Science-Fiction en ce moment. J'ai déjà un pied sous terre et ce qui se passe autour de moi m'intéresse plus que ce qui se trafique dans les étoiles.

Mais revenons à Afterparty, qu'il ne s'agit pas de résumer. Le synopsis est si tenu qu'il suffirait de quelques lignes pour vous le révéler. Ce qui n'empêche en aucun cas son intérêt car le dénommé Daryl Gregory a bougrement de talent pour masquer les pistes, en camouflant les indices à travers une série de chapitres alternés entre récit subjectif et point de vue extérieur.

Très rapidement, on apprend que Mikala, l'épouse de Lyda Rose, a été assassinée. Que cette même Lyda Rose, totalement junkie, s'enfuit avec sa nouvelle amie Ollie, réellement chtarbée, de l'hôpital où ces deux patientes sont enfermées. Comme elle a une puce GPS incluse dans le bras, elle la transfère dans un chat nommé Lamont. Car l'obsession de Lyda Rose est de découvrir la chemjet avec laquelle on élabore le Numineux. Une nouvelle drogue qu'elle a contribué à inventer, qui vous donne l'impression d'être assis à côté de Dieu. Pour l'aider, elle est accompagnée du Dr Gloria, une hallucination avec des ailes, fabriquée par des neurones à croissance rapide dans son lobe temporal. Puis on plonge dans une société où tout le monde est plus ou moins camé, où Fayza, la superdealer suprême, inonde le marché. Elle aussi veut s'emparer de la chemjet.

Au-delà de son intrigue sournoisement manipulée par son auteur qui s'ingénie à vous cacher la vérité pour ménager le suspense, l'intérêt d'Afterparty réside dans les détails. Le smartpen, stylo multifonction qui remplace téléphone et ordinateur, le smartpaper, un trou noir portable inventé par Sony qui bloque tous les champs électromagnétiques, etc.

Mais le meilleur apparaît dans le style rapide et suggestif de Daryl Gregory, bourré d'humour, truffé de phrases et de réflexions à l'emporte-pièce réellement savoureuses.

Par exemple, Ollie qui déclare : « Je confesse m'être souvent tapé une courgette au lycée. J'ai cru que je devenais végésexuelle. ».

« Si Dieu a créé l'univers, où sont ses empreintes sur le big bang ? » demande Lyda, qui n'hésite pas à affirmer : « L'église, c'est pas fait pour les gens qui ont trouvé Dieu. C'est pour les autres qui cherchent la dernière adresse connue du connard divin. ». Ou : « Quelle que soit sa définition, une photo ne peut révéler si un objet est réellement coûteux. L'argent irradie dans un spectre indéfinissable. ». (Je signale que ces citations ne sont pas exactement celles du texte original, mais pourquoi me priverais-je, moi aussi, de les manipuler ?)

« Les athées sont détestés par tout le monde parce qu'ils sont malpolis. » affirme l'un des personnages, sans doute en s'adressant à moi.

Et je vous conseille, ​pages 288-9, une discussion sur le libre arbitre et la connectique cérébrale particulièrement subtile.

Vous l'aurez compris, Afterparty vaut plus pour ses impertinentes transgressions que pour son récit proprement dit. Quoique mené tambour battant, il repose sur une série d'occultations. D'ailleurs, on se demande souvent comment Lyda Rose et Ollie peuvent accomplir une enquête aussi serrée, bien que faussement complexe, alors qu'en principe elles sont “endommagées du casque”.

Bref, ce roman, par moments, ressemble à de la bouillie, mais bourrée de lames de rasoir.

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