Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux Archives stellaires Gérard Klein : à l'auteur inconnu 7

Gérard Klein

À l'auteur inconnu 7

Première parution : NLM 17, mai 1990

Ma description des principaux services d'une maison d'édition devra beaucoup à l'organisation des éditions Robert Laffont, que je connais mieux que celle de la plupart des autres maisons pour des raisons évidentes. Je sais depuis longtemps qu'à connaître l'intérieur d'une organisation on s'évite bien des erreurs et des tracas. Et puisque je ne peux pas proposer des stages à tous les auteurs qui se pressent à nos portes, voici quelques indications venant de l'autre côté du comptoir.

----==ooOoo==----

L'auteur est tout d'abord confronté au service de lecture des manuscrits dont j'ai déjà parlé, mais seulement s'il n'a rien publié dans la maison ou s'il n'a pas eu de relations directes. Dans le meilleur des cas, son manuscrit sautera cette première étape et sera immédiatement lu par le directeur de collection ou l'éditeur compétent, voire éventuellement par des membres du comité de lecture.

En ce qui concerne la SF et la plupart des genres spécialisés, le comité de lecture admet son ignorance de ces univers particuliers et la direction de la maison s'en remet à la décision du directeur de collection, qui ne demeure évidemment crédible que s'il n'échoue pas trop souvent. Il y a deux types d'échecs fort différents : l'échec qualitatif (le livre est hué par la critique) et l'échec financier (la vente du livre ne couvre pas les frais engagés par son édition). On ne sera pas surpris d'apprendre que le second est plus grave que le premier pour la pérennité de la collection et de son directeur.

En ce qui me concerne, je prends seul la décision d'éditer ou non un livre, sauf quand l'investissement financier est trop lourd. Je dois alors demander un accord qui ne m'a jamais été refusé à ce jour. (Je ne devrais sans doute pas livrer ce secret, puisqu'un certain nombre de mes collègues se retranchent derrière de mystérieuses autorités supérieures pour expliquer le refus d'un manuscrit. Mais je ne l'ai jamais fait et je ne vois pas pourquoi je m'y mettrais).

Quoi qu'il en soit, le directeur de collection éprouve souvent la “fameuse solitude du gardien de but au moment du penalty”. Écrasé par le poids de ses lectures, tant françaises qu'étrangères, il lui arrive de mettre longtemps avant de rendre un verdict à peu près sans appel sauf quand il demande des modifications. Seuls les manuscrits ne convenant manifestement pas sont écartés très rapidement. Par suite, un long délai de réponse est plutôt de bon augure, sauf évidemment durant la période des vacances d'été.

Si la réponse a été positive, l'auteur se trouvera au contact du service des contrats ou du secrétariat général qui, lui, en établira un. Je me suis longuement exprimé sur ce sujet dans ma précédente rubrique et il n'est pas utile d'y revenir.

Ensuite, escorté par son éditeur, tel Dante par Virgile, l'impétrant va faire connaissance avec les grandeurs et les servitudes de la fabrication de son “enfant”.

----==ooOoo==----

Il aura d'abord affaire à un service de coordination, qui examinera le manuscrit avant qu'il soit transmis au service de fabrication proprement dit, et qui l'informera que sera publié son texte, tout son texte et rien que son texte. Ce qui signifie qu'il ne doit pas compter y mettre la dernière main sur épreuves. Cela se faisait peut-être du temps de Balzac quand il n'existait ni machine à écrire ni ordinateur personnel. Mais de nos jours, la moindre correction intervenant sur épreuves est facturée si elle n'est pas le fait de l'imprimeur. Et cette facture devient vite lourde. Les éditeurs menacent régulièrement les auteurs de prélever ce coût des corrections sur leurs droits à venir, mais ils le font rarement, et seulement quand la coupe est deux fois pleine. Mais l'auteur doit néanmoins se rendre compte qu'il doit remettre un “tapuscrit” parachevé et parfaitement lisible.

L'évolution de la profession d'imprimeur, liée à l'emploi d'ordinateurs et à la saisie du texte “au kilomètre” par des gens beaucoup moins qualifiés que les protes d'antan qui n'hésitaient pas à redresser un imparfait du subjonctif, rend davantage nécessaire la plus grande vigilance au moment de la remise du tapuscrit définitif. Il est de même de moins en moins courant qu'un correcteur relise très attentivement un manuscrit avant la composition et fasse part à l'auteur de ses émois. Cela se pratique encore dans les bonnes maisons, mais rares sont ces correcteurs qui faisaient naguère encore avec beaucoup de prudence et d'humilité remarquer à l'auteur une panne dans son intrigue, un mot déplacé, un flou dans la ponctuation. Il en subsiste, je dois le dire, au Livre de Poche, et ils font mon admiration.

C'est à ce service de coordination que l'auteur pourra soumettre quelques suggestions en ce qui concerne la présentation de son ouvrage et c'est lui qui transmettra le tapuscrit déjà revu au service de fabrication. De manière générale, chaque fois que l'auteur rencontrera un problème, il aura avantage à le soumettre soit à son éditeur soit à ce service de coordination.

Le service de fabrication va se signaler à l'auteur en lui adressant des épreuves qu'il aura en général une quinzaine de jours pour relire et corriger. Rien n'est plus difficile que de relire les épreuves de son propre texte car l'auteur, l'œil mouillé d'allégresse, se récite intérieurement sa prose et scotomise ce qui fait problème. Il arrive que le service de fabrication consulte l'auteur pour savoir s'il a une préférence en matière de police de caractères mais cela se fait de moins en moins. Il arrive aussi que l'auteur ait son mot à dire en matière d'illustration de couverture mais ce n'est pas le cas pour "Ailleurs et demain". Vous aurez la couleur de votre choix pourvu qu'elle soit argentée — ou, plus exceptionnellement dorée. Les premières épreuves vont donner naissance à des secondes où les corrections ont été prises en compte ; puis parfois à des troisièmes, dites bons à tirer, qui permettent au service de fabrication, sous-section des correcteurs, de s'assurer que toutes les corrections ont bien été faites et que de nouvelles erreurs ne se sont pas glissées dans le texte à cette occasion. Il en subsistera toujours quelques-unes : la perfection n'appartient qu'à Dieu. De toute façon, vous n'aurez pas à relire le deuxième ni le troisième jeu d'épreuves que les professionnels se gardent jalousement.

----==ooOoo==----

Vous n'aurez pas non plus le temps de vous ennuyer. En effet, parallèlement, votre éditeur, avec un tact exquis, vous aura demandé de préparer une quatrième de couverture (vulgairement, le dos de l'ouvrage, bien que le dos, en fait, soit la partie étroite opposée à la tranche) et un prière d'insérer (au sexe bizarre) qui sera glissé dans le livre et adressé à tous les critiques, pour leur servir de bouée de sauvetage au cas où ils n'auraient pas envie de lire le livre. Il est toujours assez émouvant de relire sa prose au-dessus de la signature du responsable littéraire de la Gazette de Lugdunan, et la même pareillement traitée dans l'Echo de l'Extrême Centre. Techniquement, cela s'appelle un plagiat, mais il serait mal venu de le faire remarquer à quelqu'un qui contribue à vous faire connaître.

Au demeurant, l'éditeur reprendra probablement de fond en comble ces deux textes que vous avez sué sang et eau à produire. Comme je vous l'ai déjà dit, l'éditeur a toujours raison. En l'occurrence, ce n'est probablement pas faux, car il existe deux types d'auteurs. Ceux qui craignent de n'en mettre jamais assez sur la qualité de leur ouvrage et sur leurs vertus personnelles et ceux, au contraire, qui, par timidité, font dans la litote. Les premiers sont ridicules, les seconds inefficients.

----==ooOoo==----

Il vous reste à découvrir le service commercial. Deux à trois mois avant la sortie en librairie de votre livre, vous participerez, si vous avez de la chance, à une réunion commerciale. Là, devant quarante ou cinquante personnes, au cours de ce qu'il est convenu d'appeler une grand messe, vous aurez entre cinq à dix minutes pour convaincre les représentants qui ont déjà vu dix autres titres défiler et qui en verront après vous au moins autant, de l'originalité et de l'excellence de votre livre. Faites clair, court et avec de l'humour. Ne cherchez pas à résumer votre livre : ils ont déjà un résumé entre les mains. Attachez-vous plutôt à vous rendre sympathique et à les faire rire dans l'espoir qu'ils se souviennent de vous une fois sur les routes. Ce sera probablement l'unique contact que vous aurez avec les commerciaux, du moins jusqu'à votre prochain livre (?). Profitez-en.

----==ooOoo==----

Un petit peu avant la parution de votre livre, vous entrerez en contact avec le service de presse et votre attaché(e) de presse. Le métier d'attaché de presse est le plus dur de toute l'édition : c'est pourquoi on le confie en général à des femmes. Il consiste à faire lire par des gens qui n'en ont aucune envie les œuvres d'auteurs qui, morts de trac, se recroquevillent autant qu'ils peuvent dans leur coin. Il consiste également à vanter une marchandise plus ou moins bien connue en même temps que trois ou quatre autres seulement, dans le meilleur des cas, et à essuyer les remontrances de l'auteur et les rebuffades des media. Soyez gentil avec votre attaché de presse mais surtout, soyez présent. Songez aussi à amener quelques bonnes photos de vous : cela peut servir. Évitez le photomaton.

En fait, s'il est extrêmement difficile de se vendre soi-même, sachez bien que personne ne le fera aussi bien que vous. L'attachée de presse pourra vous obtenir des contacts, des rendez-vous, des déjeuners, mais c'est sur vous que repose l'efficacité de son travail. Il est beaucoup plus facile pour un journaliste d'envoyer promener une attachée de presse qu'un auteur. En outre, les journalistes sont quelque peu flattés de rencontrer “le grand homme” (ou la grande femme) même et surtout s'ils l'envient d'avoir réussi ce à quoi ils rêvent depuis longtemps : publier un livre. Livrez leur une anecdote et le sens profond de votre œuvre en une phrase qu'ils pourront toujours réutiliser même s'ils n'ont pas le temps d'aller au-delà du premier quart de votre livre. Pour la même raison, signez votre service de presse. Vous devrez trouver une formule et parapher cent à deux cents exemplaires de votre livre. Essayez d'être aussi personnel que possible, surtout à l'intention des rubriqueurs que vous connaissez déjà.

Mais surtout, soyez présent. Trop d'auteurs imaginent que le service de presse s'occupe activement quand ils ne sont pas là. C'est vrai, mais jusqu'à un certain point seulement. Loin des yeux, loin du cœur. N'allez quand même pas jusqu'à camper sur place mais montrez-vous le plus souvent possible le mois de la sortie de votre livre. Planté devant son bureau, devenez un reproche permanent mais silencieux à l'endroit de votre attachée de presse. Soyez plein de culot, mais décontracté. Ici se joue, aux trois-quarts, votre avenir. Mais n'oubliez jamais que ceci est votre livre de l'année, tandis que, pour votre interlocutrice, c'est un livre du mois entre quatre ou cinq et qui pis est, entre quarante et cinquante dans l'année. Dites-vous bien que tout article ou articulet est une victoire de l'intelligence sur la force brutale de la matière.

Sachez cependant que les articles, élogieux ou non, n'ont d'efficacité véritable que s'ils sortent dans le mois qui suit la mise en place de votre livre. Avant, ils seront oubliés avant que le livre ne sorte. Au-delà d'un mois, ils risquent d'avoir excédé la durée de vie utile de votre livre, c'est-à-dire sa présence en quantité appréciable dans les librairies. Le cas est un peu différent pour la SF grâce à l'existence de rayons spécialisés qui conservent beaucoup plus longtemps les nouveautés. Tant mieux. Mais conservez toujours à l'esprit le fait incontournable que pour la plupart des ouvrages publiés, la durée de vie utile est comprise entre un et trois mois. Les livres sont des radio-isotopes à durée de vie courte ! Ce qui ne signifie pas qu'ils ne polluent pas…

Ne comptez jamais sur une télévision, d'autant que vous écrivez de la SF. Les émissions de télévision sont réservées aux auteurs déjà célèbres qui, en principe, n'en ont pas besoin, et aux sujets tous publics. Mais si cela vous arrive, sachez qu'il n'y a pas de recette, sinon celle de “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil”. Soyez élogieux pour les autres, ils vous le rendront peut-être. L'erreur impardonnable, que j'ai commise une fois, consiste à dire ce qu'on pense réellement.

Le service de presse peut aussi, où ne peut pas, vous organiser des séances de signature dans des librairies, en province plutôt qu'à Paris. Il y a peu de chances que vous signiez plus d'une douzaine d'exemplaires, ou alors, vous n'avez plus besoin de moi, mais allez-y tout de même. Vous flatterez le libraire, qui s'en souviendra et vous aurez peut-être l'occasion de rencontrer un exemplaire de cette espèce si rare : le lecteur. Au demeurant, même si vous n'avez pas de séance de signature, faites le tour des libraires, au moins des plus importants et des plus spécialisés et faites-vous connaître du responsable du rayon. Vous serez surpris en général de la qualité de l'accueil, car un libraire est toujours flatté de voir un auteur s'intéresser à son activité et vous apprendrez, en bavardant, pas mal de choses. Vous y gagnerez presque certainement une mise en évidence de votre livre, et peut-être un réassort.

----==ooOoo==----

Il ne vous reste pratiquement plus qu'un service à découvrir, celui des droits annexes, français et étrangers. Si vous avez de la chance, vous serez peut-être retenu pour une publication dans un “club de livres”, en même temps que la sortie de votre livre (Club du Livre du Mois) ou neuf mois après (France Loisirs) et ultérieurement dans une collection de poche. De même le service des droits étrangers s'efforcera d'intéresser un éditeur étranger à votre œuvre. Il aura bien du mal et c'est ce qui fera l'objet de ma prochaine rubrique.

----==ooOoo==----

Mais (!) c'est que j'allais oublier un service essentiel avec lequel vous ferez plus ample connaissance entre un an et dix-huit mois après la sortie de votre livre : la comptabilité auteurs. Je rappelle à ceux qui l'ignorent que si leur livre est sorti au premier semestre d'une année quelconque, ils recevront un relevé l'année suivante au titre de l'année écoulée. Mais si leur livre est paru au second semestre, ils devront attendre une année supplémentaire, à moins qu'ils ne bénéficient de comptes provisoires arrêtés au 30 juin suivant la parution.

Les relations avec les services de la comptabilité auteurs sont généralement bonnes, voire cordiales. L'informatique y est pour beaucoup, qui a éliminé les incertitudes poétiques qui se présentaient encore il y a quelques dizaines d'années : les erreurs sont rares. Le problème est plutôt que les comptes informatisés sont, comme je l'ai déjà signalé, fort imperméables au commun des mortels, sauf dans quelques cas louables dont J'ai Lu, qui produit chaque trimestre des comptes remarquablement clairs.

Épluchez néanmoins vos comptes et n'hésitez pas à faire part de vos étonnements au service comptable qui soit, vous éclairera, soit procédera à une rectification s'il est nécessaire. Le litige le plus fréquent porte sur les droits annexes : vous savez que votre éditeur a vendu en 1989, au printemps par hypothèse, votre livre à une collection de poche. Vous vous étonnez de ne pas trouver sur votre compte à fin 89 les droits correspondants aux ventes de l'édition de poche, mis à part l'à-valoir à signature. C'est que votre éditeur ne recevra que courant 90 l'état du compte de l'édition de poche à fin 89 et qu'il ne la répercutera donc que sur les comptes 90 que vous percevrez courant 91. Petite cascade qui permet de grignoter un peu de trésorerie.

Dans le même esprit, le contrat mentionnera généralement que les comptes vous seront adressés au plus tard au 30 mars. Dans la réalité, vous les recevrez en mai, si ce n'est en juin. C'est qu'outre le petit avantage de trésorerie déjà signalé, il n'est pas simple d'établir la position de plusieurs milliers de comptes, ce qui est souvent le cas chez un grand éditeur. Prenez votre mal en patience et si vous êtes vraiment gêné, n'hésitez pas à demander une avance à votre éditeur. Il ne se fera pas trop tirer l'oreille.

En aucun cas, ne sombrez dans la paranoïa. Chacun sait que c'est une maladie contagieuse. À de rarissimes exceptions près qui ne méritent pas d'être citées, j'ai toujours vu des services comptables prendre la défense des auteurs et certains se sont même parfois donné du mal pour débrouiller une situation fiscale compliquée par le peu de cas que font les poètes de ces choses.

----==ooOoo==----

Au total, on pourrait presque dire qu'une maison d'édition est composée d'un certain nombre de boutiques spécialisées auxquelles l'auteur et l'éditeur vont successivement demander des services. Une bonne compréhension de ce fait et une bonne relation établie à chaque “boutique” avec la personne idoine vous évitera d'avoir l'impression d'être ballotté au sein d'une administration sans visage. Essayez de vous mettre à la place de votre interlocuteur et vous verrez tout devenir simple.